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main. Les guerriers pris dans la bataille sont amenés à Thémiscira, la capitale des amazones ; on les conduit au temple de Diane, on les couronne de roses, et après deux jours de fête ils sont renvoyés dans leurs pays. La reine des vierges belliqueuses, la belle Penthésilée, veut avoir Achille pour époux ; à la tête d’une cohorte de jeunes guerrières, à cheval et la lance à la main, elle va le chercher jusque sous les murs de Troie. Tout le monde fuit devant les amazones ; Ulysse et Diomède sont vaincus ; Achille seul tient ferme, et, luttant avec la jeune reine qui le cherchait dans la mêlée, il la blesse et l’emporte évanouie dans son camp. Ici, au milieu de ces scènes terribles, une scène d’une tendresse ardente et passionnée. Penthésilée est assise, Achille est à ses pieds. La belle amazone se croit victorieuse, et Achille, pour complaire aux suivantes de Penthésilée, a consenti à lui laisser cette illusion. Eh ! n’est-il pas vaincu en effet ? Voyez-le s’enivrant des regards de la jeune guerrière ; voyez-le éperdu, ébloui, comme un mortel épris d’une déesse. C’est alors que Penthésilée lui raconte l’histoire des amazones, et lui avoue fièrement que, sur sa réputation de courage et de beauté, elle est venue, la lance au poing, selon la coutume de sa race, conquérir son époux, Achille égal aux dieux. Il y a là un dialogue d’une poésie prestigieuse : quel mélange de grâce et de sauvagerie dans les paroles de Penthésilée ! Ce n’est pas la langue de la Grèce, dit très-bien M. Julien Schmidt, et pourtant notre imagination est emportée au sein de la vie hellénique. Tout à coup les amazones, qui ont juré de délivrer la reine prisonnière, reviennent comme des furies, renversent tout sur leur passage, et pénètrent dans le camp d’Achille. Achille a dû s’enfuir ; mais n’est-il pas amoureux de la reine ? Il ne songe plus qu’à se replacer sous son joug, il la provoque à un combat afin d’être vaincu par elle et de pouvoir l’épouser. Penthésilée s’imagine que la provocation est sérieuse, qu’Achille veut se venger, qu’ayant surpris son secret, il abusera de sa faiblesse ; elle en devient folle de rage, et tandis que le fils de Thétis se présente sans armes au combat, elle marche contre lui armée de son arc et suivie d’une meute de chiens sauvages. Achille, frappé d’une flèche en pleine poitrine, tombe aux pieds de l’amazone : « Penthésilée ! ma fiancée ! que fais-tu ? Est-ce là la fête des roses que tu m’avais promise ? » Une lionne affamée, dit le poète, aurait eu pitié de ses plaintes ; mais elle, ivre de sang, plus furieuse encore que ses chiens qu’elle excite, elle se jette sur lui, elle le déchire avec ses mains, avec ses dents, elle le met en lambeaux…

Cette poésie démoniaque exprime trop bien l’inquiétude du poète aux heures les plus farouches de sa vie. Que représente l’horrible dénoûment de Penthésilée, sinon la passion indomptable et les droits qu’elle s’arroge ? Elle est douce et modeste d’abord, cette