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— Couchés, excellence, et sans doute dans leur premier somme. Si votre excellence me l’ordonne, je vais les appeler.

Le chef de police fit un geste affirmatif et suivit Pietro, qui alla frapper aux portes des chambres occupées par ses parens. Tout se passa comme il avait été convenu. Au bout de quelques instans, les portes s’ouvrirent, et chacun des membres de la famille se présenta un flambeau à la main, à moitié vêtu et se frottant les yeux comme au sortir d’un profond sommeil. Des interrogatoires séparés commencèrent aussitôt, et M. Lamberti n’épargna même pas la pauvre Mme Stella, qui le regardait comme un ogre venu tout exprès pour dévorer sa progéniture. Heureusement la leçon avait été si bien et si récemment apprise que personne ne se trompa d’un mot. Cependant Pietro et Cesare étaient allés chercher du vin à la cave, et les jeunes filles avaient mis le couvert. Pietro invita M. Lamberti et ses compagnons à se rafraîchir. Ceux-ci ayant consenti sans se faire prier, la conversation ne languit guère, grâce surtout à Cesare, qui éprouvait une sympathie véritable pour tous les agens du pouvoir, et dont le dévouement était encore doublé par la pensée du tour qu’il leur jouait. — Les pauvres gens! se disait-il; tout le monde les trompe, et moi comme tout le monde ! Ils ne font pourtant que leur devoir. Je ne comprends pas qu’on soit si mal disposé pour eux !

Enfin Mme Stella et Pietro lui-même commençaient à se flatter que la terrible escouade allait repartir sans causer d’autre mal que la peur, lorsque M. Lamberti, ayant mangé de fort bon appétit et vidé plusieurs bouteilles, se tourna vers Pietro et le pria d’appeler les serviteurs et les journaliers de la ferme, afin qu’il pût leur adresser quelques questions. Mme Stella sentit ses jambes se dérober sous elle, car aucun des domestiques n’était prévenu, et tous ignoraient encore le départ du fermier. Il fallait s’attendre à ce qu’ils exprimassent leur étonnement de ce départ subit, et qui pouvait prévoir l’effet que produirait cet étonnement sur M. Lamberti? Il n’y avait pourtant pas à hésiter; il fallait obéir, et si Pietro songea un instant à prévenir ses serviteurs des dangers auxquels un mot imprudent de leur part pouvait l’exposer lui et les siens, il dut abandonner cette pensée, car l’un des agens l’accompagna pendant qu’il allait les éveiller. En rentrant toutefois, il remarqua que Rachel avait disparu, et il se dit qu’elle était sans doute allée donner aux serviteurs avis de ce qui se passait. Elle revint au bout de peu d’instans, et le regard qu’elle échangea avec son cousin lui prouva qu’il avait deviné juste. Bientôt un à un, deux à deux, par groupes, parurent les serviteurs, dont la physionomie trahissait les nuances les plus diverses de la surprise et la crainte.