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ils seraient bien difficiles s’ils ne s’en montraient pas satisfaits. Sois tranquille, ma femme. Quand le vieux Stella, qui n’a jamais menti, leur dira : Je suis un bon et loyal sujet de sa majesté l’empereur, — je voudrais bien savoir ce qu’ils trouveront à me répondre. Ils me tendront la main en me disant : Touchez là, brave homme; si tout le monde pensait comme vous, nous n’aurions pas eu tant de mauvaises affaires sur les bras... Mais il est temps de partir. Adieu, ma femme.

Et le vieux fermier pressa tendrement sa vieille compagne entre ses bras en lui disant tout bas : — Ils sont tous les deux ensemble, hors de danger, bien portans et gais. — Puis il sortit de la cuisine, laissant sa femme un peu abasourdie, mais infiniment rassurée, et faisant signe au curé et à Rachel de le suivre. — Je ne sais quand je reviendrai, monsieur le curé, dit-il; en tout cas, je vous les recommande tous, et elle en particulier; soutenez-la et priez pour nous. Toi, ajouta-t-il en s’adressant à Rachel, fais en sorte d’informer notre maître de ce qui nous arrive. Il est puissant, tous les empereurs l’écoutent, et il ne laissera pas son vieux Stella languir en prison, non plus que les enfans.

Puis, prenant le bras de son fils, auquel il avait défendu de se présenter à sa mère, il monta dans sa voiture, accompagné comme un grand criminel d’un piquet de gendarmerie à cheval et d’une demi-douzaine d’agens de police.


V.

En affectant le degré d’assurance propre à calmer les terreurs de Mme Stella, le missée avait fini par prendre son rôle au sérieux, et par se convaincre lui-même de ce qu’il voulait faire croire à sa femme. — N’était-il pas un bon et loyal sujet de l’empereur? N’avait-il pas toujours parlé et agi comme tel? N’était-il pas bien connu de son curé, de son maître et de tout le village? Que pouvait-on lui reprocher? De ne pas avoir livré son propre sang? l’empereur ne pouvait lui en vouloir de ne pas s’être montré pire qu’un Judas. Non, c’eût été faire injure à l’empereur que de lui supposer de pareils sentimens. — Hélas! M. Stella oubliait d’abord que ce n’était pas devant l’empereur qu’il allait paraître; il oubliait aussi qu’en menaçant de la peine de mort tous ceux qui donneraient asile aux proscrits, l’auteur, quel qu’il fût, de cette loi n’avait excepté ni les pères ni les femmes. Exilé pour ainsi dire au fond de ses campagnes, il ne savait pas combien de malheureux avaient déjà payé de leur vie l’acte même dont il allait se déclarer responsable.

Amené devant la commission militaire sans avoir pu communiquer avec ceux de ses fils qui l’avaient précédé en prison, il parla avec