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mal articulées. Mme Stella, qui ne comprenait pas d’où venait ce grand désespoir, essayait vainement de l’apaiser. Aux assurances que lui donnait la fermière sur la disposition de Pietro à la laisser partir en toute liberté, Rachel ne répondait que par des sanglots et des exclamations sans suite, et elle finit par se sentir atteinte du frisson qui, sous l’influence du ciel italien, suit toujours de près les fortes agitations morales ou les fatigues physiques prolongées. Mme Stella la conduisit dans sa chambre, la coucha, l’ensevelit sous une montagne de couvertures, lui fit avaler plusieurs tasses de tisane à quarante-cinq degrés, et ne la quitta que lorsque la période grelottante eut fait place à la période brûlante, et l’agitation à l’assoupissement que ces sortes de fièvres produisent toujours.

Aucun calmant moral ne vaut un accès de fièvre; la crise passée, on se trouve dans une disposition d’esprit si parfaitement placide que l’on ne comprend plus la possibilité de l’agitation. En repassant dans sa mémoire la scène de la veille, Rachel s’étonna d’avoir été si faible et de s’être laissé dominer par son agitation. Elle n’avait pas commis de crimes après tout, et si son cousin se plaisait à lui témoigner une sévérité déplacée, ce n’était pas une raison pour s’abandonner au désespoir, comme si sa conscience eût été bourrelée de remords. Ses intentions n’avaient rien de coupable : une partie seulement en était connue, et c’était sur cette partie qu’elle avait été injustement jugée ; mais elle n’avait plus maintenant qu’à déclarer le reste, et il faudrait bien que Pietro lui rendît son estime.

Ainsi rassurée et se reprochant amèrement l’émotion qu’elle avait trahie devant la fermière, Rachel alla trouver Mme Stella et la pria de faire appeler Pietro, avec qui elle désirait avoir une explication. Étonnée du changement survenu chez Rachel, de la tranquille fermeté de son attitude, Mme Stella ne fit pourtant aucune observation, et s’en alla elle-même à la recherche de son fils, qu’elle ramena aussitôt à Rachel. Le ressentiment du jeune fermier s’était adouci, mais son mécontentement était encore écrit en caractères très lisibles sur son visage. Il se souvenait de l’état de désespoir dans lequel il avait laissé Rachel, il savait que ce désespoir avait été suivi d’un accès de fièvre, et il s’attendait à trouver sa cousine abattue et repentante. Il s’aperçut au premier coup d’œil qu’elle était résolue et froide, et cette découverte le rendit encore plus grave et plus sévère. C’est Rachel qui la première prit la parole.

— Vos reproches d’hier, dit-elle, et la colère qui vous les dictait m’avaient tellement troublée, que je n’ai pu rien dire pour ma justification. Je ne voudrais pourtant pas vous laisser de moi la mauvaise opinion que vous semblez avoir conçue, et c’est pour cela que je vous ai prié de m’écouter... Vous avez paru surpris que j’eusse essayé de vous cacher la résolution de Paolo, et vous m’avez de-