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auprès d’elle; mais sa fille Philomène, la plus forte de la famille et qui semblait avoir deviné la cause du trouble de Rachel, objet pour elle d’une affection particulière, déclara qu’elle savait mieux que personne comment s’y prendre pour soigner et faire obéir une malade aussi fantasque. Demeurée seule au chevet de Rachel, Philomène s’établit dans un fauteuil, baissa la tête, et approcha son visage de celui de Rachel, de façon à saisir les moindres mots que celle-ci prononcerait dans son délire ou dans le sommeil. Rachel passa une nuit fort agitée, et ne cessa en effet de murmurer des mots indistincts adressés à des personnes absentes. Philomène, de son côté, ne ferma ni l’œil ni l’oreille un seul instant. Lorsque Rachel semblait près de tomber dans un sommeil complet et profond, sa cousine avait soin de prononcer à voix basse quelques mots qui ranimaient son délire. Je ne prétends pas recommander aux gardes-malades le système de Philomène; mais, quoique peu conforme aux règles de la médecine, ce système parut complètement répondre aux vues de la jeune fille, car plus d’une fois pendant cette nuit un sourire de singulière satisfaction erra sur ses lèvres. Enfin, vers le commencement du jour, lorsqu’elle vit Rachel paisiblement endormie, elle dit d’un air triomphant : — Tu peux dormir à cette heure, ma pauvre cousine; j’en sais assez maintenant pour empêcher le retour de la fièvre et pour te rendre heureuse en dépit de toi-même. Elle céda sa place à une de ses sœurs, et quitta la malade pour prendre, disait-elle, quelques heures de repos; mais, au lieu de rentrer dans sa propre chambre, Philomène courut d’un pas alerte à la laiterie, où elle savait trouver son frère Pietro; elle l’entraîna, non sans peine, chez leur mère, dans le cabinet que Mme Stella occupait depuis la mort du vieux fermier, et elle s’y enferma avec eux. Elle exigea que Pietro lui fit le récit de ce qui s’était passé depuis quelque temps entre Rachel et lui. Pietro hésitait à répondre et ne cachait pas son impatience; mais Philomène insista si fortement qu’il céda, et finit même par avouer que dans peu de jours il comptait conduire sa cousine chez les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul à Turin.

— Dieu vous en préserve! s’écria Philomène. Savez-vous pourquoi Rachel veut entrer au couvent, pourquoi elle prétendait vous cacher ses projets, pourquoi la résolution de Paolo ne lui a causé aucun chagrin, — m’entendez-vous, aucun chagrin? — pourquoi enfin elle est si désolée qu’elle en a la fièvre? Parce que Rachel aime quelqu’un qui n’est point Paolo.

— Et qui donc? s’écria Pietro.

— Qui? tu ne le devines pas? Mais toi-même, Pietro!

— Moi! lui! s’écrièrent à la fois Pietro et sa mère.

Et la jeune fille, sans se préoccuper des exclamations de Pietro et de la fermière, raconta ses premiers soupçons, sa résolution de