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profiter du délire de la fièvre pour arracher son secret à sa cousine, et le succès de son stratagème. Pietro pourtant hésitait encore à se croire aimé. Il voulut que Philomène lui redît les paroles qu’elle avait recueillies sur les lèvres de la jeune malade, et Philomène les répéta, ainsi que les reproches adressés par Rachel dans son délire à Paolo pour l’avoir persuadée jadis que c’était lui qu’elle aimait, et s’être jeté ainsi entre elle et le bonheur. Puis, comprenant avec un tact singulier chez une jeune fille que Pietro ne pouvait prendre un parti décisif sans se consulter d’abord avec lui-même et sans consulter sa mère, elle s’échappa brusquement.

— Qu’en pensez-vous, ma mère? dit Pietro lorsque Philomène les eut quittés.

— L’aimes-tu?

— De tout mon cœur!

— Peux-tu lui pardonner son premier amour?

Il y a dans le caractère lombard, tel surtout qu’il se révèle chez les habitans de nos campagnes, un fonds de jalousie et de défiance que rien n’a pu encore affaiblir. Pietro garda un moment le silence.

— Ma mère, répondit-il enfin, vous-même croyez-vous cet amour éteint? Je puis lui pardonner, oublier le passé; mais douter du présent, de l’avenir.., et rester chrétien,... cela me serait impossible!

— Je crois que le cœur de Rachel t’appartient entièrement; mais tu en doutes, puisque tu me fais cette question. J’aime Rachel, et je lui aurais donné le nom de fille avec plus de plaisir qu’à toute autre. Pourtant, je suis forcée de te le dire, et mon cœur saigne en te parlant ainsi, si tu doutes, ne l’épouse pas...

Pietro se recueillit. Au bout de quelques instans, le front baigné d’une sueur froide, mais avec un calme apparent, il répondit : — Je crois que vous avez raison, ma mère, et que pour notre bonheur à tous deux, une séparation éternelle est le parti le plus sage; mais il est à la douleur de cette séparation un adoucissement que je ne puis me refuser, c’est de parler une fois à Rachel à cœur ouvert, c’est de l’entendre une fois me parler sans détour. Je veux la voir, lui dire que je sais tout, que je l’aime, que je n’aimerai jamais qu’elle, et que pourtant je la quitte. Elle me comprendra et me plaindra. Nous nous quitterons amis, sans secret l’un pour l’autre, sans arrière-pensée ni soupçon. Allez, ma mère, allez voir si je puis lui parler. Je serai plus calme lorsque tout sera dit.

Mme Stella sortit sans répondre, et revint bientôt annoncer à Pietro que sa cousine, quoique faible, était en état de le recevoir. Pietro trouva Rachel assise dans un fauteuil devant une fenêtre ouverte qui donnait sur le jardin. L’hiver, le court hiver d’Italie, était passé; le printemps revenait. Les feuilles d’un vieux cerisier frémissaient