Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/691

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rais-je jamais certain que ton cœur m’appartient tout entier? Serais-je vraiment heureux? te rendrais-je vraiment heureuse? Mon devoir est de te parler à cœur ouvert, de ne te rien cacher de ce qui me trouble, de ce que je redoute pour l’avenir. Je n’essaierai donc pas de changer ta résolution; mais ne pourrions-nous du moins emporter chacun la consolation de nous être parlé avec une entière franchise, d’avoir échangé l’un l’autre l’aveu d’un amour qui est la seule chose qui nous reste?...

Dès les premiers mots prononcés par le jeune homme, toute la fermeté de Rachel s’était évanouie. A peine eut-il cessé de parler qu’elle lui répondit d’une voix étouffée par les larmes : — Pietro, puisque tu m’aimes, je puis tout supporter, et je n’ai plus rien à te cacher. Je t’aime, je n’aime que toi, je sens maintenant que je n’ai jamais aimé que toi; mais tant que j’ai pu me croire dédaignée, j’aurais préféré la mort à un pareil aveu. Je sais bien que je suis indigne de toi. Ce qui m’étonne, c’est que ton père en ait jugé autrement; il était aveuglé par sa grande indulgence. Tu seras heureux, Pietro, tu mérites trop de l’être pour que Dieu te condamne à d’éternels regrets. Quelle vie que celle qui m’attend!... N’étais-je pas destinée au plus grand bonheur qu’une femme puisse goûter ici-bas?... Ah! quand ton père cherchait ma main pour la mettre dans la tienne, si je n’eusse pas cédé alors à une excessive timidité, si je n’eusse pas reculé devant la pensée de t’enchaîner à moi sans t’avoir fait l’aveu de mon erreur, tu ne m’aurais pas repoussée alors, n’est-ce pas, Pietro?

Pietro ne put répondre que par un geste, la voix lui manquait.

— Mais plus tard, poursuivit Rachel, plus tard tu aurais regretté ton obéissance aux ordres de ton père; tu m’aurais reproché ma dissimulation, tu m’aurais dit : « Si tu avais été franche avec moi, Rachel; si tu m’avais avoué que tu avais cru aimer mon frère, je t’aurais pardonné, je t’aurais donné ma confiance, et j’aurais pu être heureux avec toi. » Heureux! oh! oui, Pietro, je t’aurais rendu heureux, et tu n’aurais pas douté de mon amour... Oh ! j’aurais bien su te rendre le doute impossible!...

— Et... tu m’aurais aimé?... Et... tu crois... que je n’aurais pas douté de ton amour?

Rachel sanglotait au lieu de répondre.

— Et... qu’est-il arrivé depuis lors... qui ait changé tout cela?

— Ce qui est arrivé, s’écria Rachel, c’est que je t’aime cent fois plus que je ne t’aimais alors,

Pietro était en ce moment cruellement agité. Il sentait qu’il allait faire exactement le contraire de ce qu’il avait résolu, et pourtant une joie presque folle s’emparait de lui. — Rachel, dit-il d’une voix