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le marquis de Prié, restait à Vienne. Les négociations ne tardèrent pas à devenir plus actives. Un envoyé impérial, le comte d’Auersperg, arriva à Turin dans le plus grand secret, au mois d’août 1703. On le logea dans une villa du marquis de Prié, sur les bords du Pô. Le duc allait le voir mystérieusement, prenant le prétexte de la chasse. C’est là que fut négocié le traite signé le 8 novembre 1703. Victor-Amédée demandait comme condition de son accession à la ligue européenne l’Alexandrin, le Montferrat, Valenza, la Lomelline, le val de Sesia. Puisque le duc de Savoie, ne pouvait obtenir de Louis XIV le duché de Milan tout entier, il voulait du moins s’acheminer vers ce but en traitant avec l’empereur. Vingt fois la négociation fut suspendue, vingt fois elle fut reprise. L’empereur, pressé par l’Angleterre, finit par céder pour attirer le duc dans la coalition. Des articles secrets ajoutèrent même la cession de Vigevano et d’une partie du Novarais. Victor-Amédée devait fournir quinze mille hommes à la coalition et commander les armées impériales en Lombardie.

Ces négociations n’échappaient pas à l’œil clairvoyant de Philippeaux ; l’ambassadeur de Louis XIV les soupçonnait, lorsque le secret lui fut révélé par une femme qui avait été la maîtresse du duc, par la comtesse de Verrue, qui était de la maison française de Luynes. La comtesse de Verrue était arrivée à Turin, pleine de jeunesse et de beauté, dans les premiers temps du règne de Victor-Amédée. Présentée à la cour, elle n’avait pas tardé à fixer l’attention du duc, qui l’aima et qui en eut même plusieurs enfans. Il y eut une Mme de Montespan à la cour de Turin. Bientôt la comtesse de Verrue eut tout pouvoir ; elle fut nommée dame d’atours de la duchesse, et elle régna pendant quelques années, courtisée pour son crédit et peu aimée pour son caractère hautain. Victor-Amédée était extrême en tout. Ses amours étaient pleins d’emportemens et d’accès terribles de jalousie. La comtesse de Verrue, fatiguée de ces orages permanens, aurait voulu rompre : elle était retenue par l’ambition de faire légitimer ses enfans. Elle restait l’amie du duc après avoir été sa maîtresse, et puis elle jouait aussi un autre rôle. Lorsque le maréchal de Tessé était à Turin en 1699, il écrivait au roi que la comtesse avait toujours des relations avec le duc. « Ils se querellent, ils se tourmentent, ajoutait-il ; mais elle sait tout, rien ne lui est caché. Votre majesté peut être sûre qu’elle sera avertie par son intermédiaire s’il arrivait rien d’essentiel pour nos affaires. » C’est ainsi que Philippeaux apprenait la présence du comte d’Auersperg à Turin et les négociations suivies par le duc. Si Louis XIV n’avait eu que les révélations de Philippeaux, il n’y aurait pas cru encore peut-être ; mais de toutes parts le bruit des trahisons du duc lui revenait à la fois, et alors que fit-il ? Il voulut anéantir d’un coup l’indocile