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SCÈNES DE LA VIE DES LANDES.

fous, surtout en entendant parler d’Angoulin. Elle tomba sur une chaise, cacha sa tête dans ses mains. Elle tremblait, comme si elle eût eu la fièvre. Chaque explosion de colère de Marioutete portait le désordre dans cette nature craintive et débile, chaque injure la frappait comme un coup de fouet, et quand on lui commanda de sortir, elle se leva prête à obéir.

Mais Jean Cassagne intervint. — Qu’elle reste ! dit-il ; après tout, c’est la fille de mon frère ; mais je ne l’eusse pas crue si traîtresse. C’est un vilain tour qu’elle a joué à Marioutete en lui enlevant Angoulin !

Margaride s’approcha alors de Jean Cassagne, et, le prenant par la manche, elle lui dit d’une voix tout émue : — Oncle, oncle, est-ce que vous voulez me marier avec Angoulin ? Je vous en prie, ne me mariez pas avec Angoulin, j’aime mieux mourir fille !

Jean Cassagne s’empara avec empressement de ces paroles, qui lui permettaient d’essayer de rétablir la paix ; mais une pareille tempête ne s’apaise pas facilement dans le cœur de femmes outragées. — Elles n’étaient pas dupes de l’hypocrisie de Margaride. Jean Cassagne avait toujours été trop bon pour elle, et il recueillait le fruit de sa bonté. — Elles eussent recommencé leurs bruyans entretiens, si le chef de la maison, prenant son ton d’autorité, ne les eût toutes envoyées au lit.

Le lendemain, Angoulin vint chercher la réponse à la demande qu’il avait faite ; mais Margaride se cacha si bien qu’il fut impossible de la trouver. Elle recommença ce manège plusieurs fois, et évita avec soin toutes les occasions de le rencontrer. Angoulin fut fort étonné de cette façon d’agir. — Lui avez-vous au moins fait comprendre que j’avais cent mille écus ? disait-il souvent à Jean Cassagne. Des amis apostés par ce dernier essayaient de faire revenir Angoulin à Marioutete ; mais il était ferme dans sa détermination. — C’est la Cicoulane que j’épouse, répondait-il ; quant à l’autre, je n’en veux pas entendre parler.

Cette obstination commença à paraître extraordinaire dans le pays. On parla d’un charme jeté sur Angoulin. Ses ennemis disaient qu’il y avait assez longtemps qu’il travaillait avec le diable, et qu’il fallait qu’il lui rendît ses comptes. On voyait dans la blonde Margaride un huissier envoyé par Satan lui-même. — Elle peut le rebuter tant qu’il lui plaira, disait Marioutete ; elle lui a jeté un sort, et sait qu’il ne peut lui échapper ! — Ce qui ne l’empêchait pas de la surveiller, persuadée qu’elle avait des entrevues secrètes avec Angoulin. Or cette surveillance était fort gênante pour Margaride, qui aurait voulu revoir Frix.

Un jour cependant que Marioutete, qui voulait reconquérir Frix,