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et infidèle allié. Vendôme, qui était allé en Italie pour réparer les fautes de Villeroi, reçut l’ordre de retenir prisonnières les troupes piémontaises, de les désarmer et de marcher brusquement sur le Tessin pour forcer le duc de Savoie à réduire son état militaire et à livrer à la France plusieurs places de sûreté. Ainsi assailli et surpris au milieu de ses négociations, Victor-Amédée fit face au danger. Il gagna quelques jours habilement, mit Turin à l’abri d’un coup de main, ordonna de nouvelles levées, appela tout le pays sous les armes, expédia des envoyés dans toutes les cours, et encore une fois il répéta : « Je romps une alliance violée à mon détriment. Je préfère la mort les armes à la main à la honte de me laisser opprimer. » Une évolution de plus, précipitée par la brusque sommation de Louis XIV, ramenait Victor-Amédée à la coalition, reliait sa cause à celle de l’Europe, en lui offrant pour prix cette fois un agrandissement en Italie.

Le Piémont par malheur se trouvait en ce moment cerné de toutes parts : Victor-Amédée était seul enfermé dans un cercle de fer. Tessé envahissait la Savoie ; Vendôme, qui s’était transporté de l’Adige sur le Tessin, débordait sur le Piémont. Vercelli et Suse étaient prises par les Français, Bard tombait par trahison et nous ouvrait la vallée d’Aoste. Les impériaux, guidés par Stahremberg, avaient eu de la peine au premier moment à se faire jour jusqu’au duc, et ils étaient peu nombreux. Ainsi commençait cette guerre nouvelle ; c’était l’entrée en lutte du duc de Savoie. Victor-Amédée s’était bien battu pour les Français, il se battit encore mieux du côté des alliés, parce qu’il se battait pour lui, avec un but fixe. Victor-Amédée reprenait ce métier de soldat qu’il aimait, vivant au milieu de son armée, couchant sur la dure, partageant toutes les fatigues et tous les périls, et c’est là encore un des caractères de ces princes de Savoie dont Charles-Albert et Victor-Emmanuel Il ont fait revivre quelques traits. J’ai dit que la maison de Savoie s’était toujours fait par ses alliances une sorte de grandeur morale supérieure à son territoire, et en même temps elle tient au pays par toutes les fibres ; elle est populaire par ses instincts, par ses intérêts. Le jour venu, elle ne s’épargne pas, elle se risque tout entière dans la mêlée, prête à périr ou à grandir avec son peuple. De là l’intime lien qui existe entre ces princes et le pays, accoutumé à voir dans sa maison royale l’expression vivante de ses intérêts, de ses sentimens et de ses ambitions. Victor-Amédée, qui était très double dans la diplomatie, redevenait dans son camp l’homme du peuple et de ses soldats. Il avait la fibre populaire. Un jour, contemplant les flammes de son château de Rivoli pillé et brûlé par les Français, il disait à ses officiers avec émotion : « Ah ! je voudrais que tous mes châteaux fussent en cendres, pourvu que les maisons de mes sujets fussent épargnées ! » C’était un personnage