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recevait les subsides. Il écrivait le 15 avril 1705 : « Soit à cause de la perte simultanée de Verrue et de Nice, qui nous laisse en Piémont cernés et sans communication avec le reste du monde, par terre et par mer, soit par suite des menaces de l’ennemi et des préparatifs qui se font à Fenestrelle, soit attendrissement pour sa femme et ses enfans, soit enfin pour tout autre motif que je ne peux pas pénétrer, il est certain que depuis deux ou trois jours son altesse royale n’est plus ce qu’elle était ; je ne reconnais plus mon héros de Crescentino et de Verrue… L’opinion générale aujourd’hui est que le duc négocie, ce que je croirais s’il consultait l’esprit des Piémontais et ce que la France publie partout. Je suis persuadé que l’honnête homme abuse ses amis ou ses ennemis, je ne saurais dire lesquels. Je crois que la question serait vite résolue si le duc écoutait ses conseillers ; le mieux est qu’il ne consulte que lui seul et ne se fie qu’à lui-même. » On se trompait en croyant le duc de Savoie disposé à signer la paix avec la France ; il ne se décourageait pas ainsi et il voyait plus clair dans les événemens. Il y a cependant un fait curieux à observer dans cette crise, c’est que les Piémontais désiraient la paix et ne se levaient pas moins à l’appel du duc, dont la volonté tenace était l’unique garantie de la coalition. Les alliés le sentaient si bien que sir Richard Hill tremblait pour les jours de Victor-Amédée en le voyant s’exposer à tous les périls. « Si quelqu’une de ces balles qui pleuvaient autour de lui l’avait frappé, disait-il, dans l’espace d’une demi-heure, tout était fini ici pour nous. »

Le fait est qu’au lieu de plier devant Louis XIV, Victor-Amédée se remettait bientôt en campagne, et la guerre recommençait plus que jamais. Les Français se préparèrent à mettre le siège devant Turin. De son côté, la cour de Vienne, sortant enfin de sa lenteur, se décidait à envoyer une armée en Italie ; le prince Eugène accourait avec des forces nouvelles au secours de Victor-Amédée, et la bataille de Turin, livrée le 7 septembre 1706, pour faire lever le siège de la ville, fut l’événement qui marqua cette phase nouvelle de la guerre. Victor-Amédée sentait la gravité du péril et il écrivait au prince Eugène pour le presser d’arriver : « Là est le nœud de la guerre, mettez tout en œuvre pour nous secourir efficacement et sûrement. Tant que Turin résiste, vous êtes supérieurs aux Français ; si vous le laissez périr, les ennemis fondront sur vous et vous chasseront de l’Italie : il faut à tout prix livrer une bataille pour éviter une si grande ruine. » Le duc n’ajoutait pas que lui-même il était totalement perdu s’il n’échappait pas à ce dernier désastre. C’était donc une crise décisive pour la maison de Savoie ; elle tourna heureusement pour le Piémont ; Turin résista assez pour laisser au prince Eugène le temps d’arriver. Ce n’était plus Vendôme qui commandait les forces de la France en Italie. Il y avait dans l’armée assiégeante