Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/714

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déplacèrent dans cette longue guerre. Une chose est à remarquer : les événemens avaient singulièrement modifié les situations. L’empereur Léopold d’Autriche était mort depuis le commencement des hostilités ; son successeur, l’empereur Joseph, était mort aussi. L’héritage de la maison d’Autriche passait à l’archiduc Charles, déjà reconnu roi d’Espagne par la coalition, et qui allait être en même temps empereur, de sorte que cette guerre, qui avait commencé en haine de la prépondérance de la France, allait aboutir à reconstituer la prépondérance autrichienne. De là vint la possibilité d’un rapprochement entre l’Angleterre et la France, rapprochement favorisé par l’avènement des tories au pouvoir. L’Angleterre n’avait plus le même intérêt à continuer la guerre et à s’acharner contre Philippe V, pourvu que Louis XIV consentît à la séparation des deux couronnes de France et d’Espagne. Ce fut là le principe des négociations qui préparèrent la paix d’Utrecht. Le duc de Savoie entrait pour sa part dans ces négociations avec avantage. D’abord il avait pour lui les cessions territoriales qui lui avaient été faites ou promises en 1703, et en outre il avait le chaud et puissant appui de l’Angleterre, dont il était l’allié de prédilection. Victor-Amédée eût voulu sans doute le Milanais, c’était le but fixe de son ambition ; mais l’Angleterre, qui désirait la paix et qui connaissait les idées de l’Autriche sur ce point, ne voulait pas créer une difficulté de plus. L’un des négociateurs de Victor-Amédée, le marquis del Borgo, écrivait : « Le comte Maffei ayant voulu parler de l’agrandissement de son altesse royale pour l’état de Milan, il s’est aperçu que ce discours ne plaisait pas ; on lui a répondu que ce qui pouvait être praticable dans un cas ne l’était pas toujours, et que l’on ne devait pas songer à l’impossible. » Un autre négociateur, le conseiller Mellarede, disait à son tour : « La cour impériale considère l’Italie comme le bijou principal de la couronne, non pas de l’impériale, mais de la maison d’Autriche, comme les états les plus féconds et d’un produit plus liquide et plus abondant, comme un moyen de parvenir à ses vues sur tout le reste de l’Italie, et d’assurer la cour de Rome dans ses intérêts. » Pour disposer du Milanais, il eût fallu le disputer à l’empereur, qui l’occupait et qui voulait le garder désormais. La Sicile était libre, on la donna au duc de Savoie. Victor-Amédée sortait donc de cette guerre et de ces négociations avec les cessions de territoire qui lui avaient été assurées en 1703, avec la Sicile et avec le titre de roi. Le Piémont s’agrandissait, et la maison de Savoie s’élevait au rang des maisons royales.

Le Piémont, tel qu’il apparaissait en 1713, était l’œuvre de cinq princes et d’un siècle et demi d’efforts. Ces princes avaient trouvé un état faible, décousu, ouvert et dépendant, un état qui pouvait être perdu en vingt-quatre heures ; ils faisaient un pays plus compacte,