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SCÈNES DE LA VIE DES LANDES.

ses invectives, car ce coup lui était plus sensible que celui causé par la perte d’Angoulin ; mais Frix, avec ce sang-froid qui lui donnait tant de pouvoir sur les filles et sur les taureaux : — Je n’aime pas le bruit, dit-il ; tu ferais aboyer tous les chiens que nous rencontrerions ! Il y a deux chemins pour aller chez toi : les bois et les prairies. Choisis celui que tu voudras, nous prendrons l’autre.

— Je vous laisse les bois, dit Marioutete avec une intention méchante.

Ils arrivèrent ensemble à la métairie ; mais là Frix et Margaride trouvèrent un autre obstacle à leurs projets de mariage. Angoulin était assis à côté de Jean Cassagne, qui paraissait lui faire bonne mine. Voici en effet ce qui s’était passé le soir même. Angoulin était venu à la Grande-Borde pour se plaindre du refus obstiné de la Cicoulane. — Vous ne m’aidez pas, avait-il dit à Jean Cassagne, et cependant, en tirant cette fille de chez vous, je vous économise au moins cinq sacs de blé par an ; je ne compte pas la graisse… Mais je vois qu’il faut parler plus haut pour se faire comprendre : je vous donnerai cinq mille livres le jour où je me marierai avec la Cicoulane. Je crois que c’est parler comme il convient, et que vous, votre femme et Marioutete, me donnerez un coup de main dans cette affaire.

Il répétait pour la troisième fois cette proposition, lorsque Marioutete entra. — Bonsoir, dit-elle ; Angoulin, vous êtes le bienvenu, et je veux vous réjouir d’une nouvelle. Vous n’aimez pas les filles qui dansent trop ; aimez-vous mieux celles qui se promènent après le soleil couché dans une châtaigneraie avec un garçon ?

— Tu vas te taire ! dit d’une voix terrible Jean Cassagne, qui tenait à toucher les cinq mille francs promis.

— Elle peut parler, dit Angoulin avec flegme, cela ne changera en rien mes intentions.

— D’ailleurs, dit Frix, elle ne peut dire que nous fissions du mal. Margaride me veut pour galant, et si Jean Cassagne veut donner son consentement, la noce sera bientôt faite.

— Tu vas trop vite, répondit Jean Cassagne. Quand tu as voulu épouser Marioutete, j’ai dit que je ne voulais pas te la donner. Tu joues trop avec les cornes, garçon, cela te portera malheur. Un de ces jours tu reviendras avec une boutonnière dans le ventre, et il me faudra nourrir la veuve et les enfans. Tu comprends bien que je ne peux pas donner à ma nièce, qui n’a d’autre protecteur que moi, un homme que je ne veux pas donner à ma fille. Écoute, Frix, nous sommes de vieux camarades, nous avons chassé souvent ensemble, et je ne veux pas me fâcher avec toi. Viens boire ici aussi souvent que cela te conviendra, tu seras le bienvenu ; mais ne me parle plus ni de Marioutete ni de Margaride. Les filles ne sont bonnes qu’à