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du récipiendaire comme au noble et pénétrant langage de l’orateur chargé de lui répondre.

Il était plus facile de faire l’éloge de M. Brifaut que de parler de lui. Que dire en effet de l’écrivain ? Les œuvres de l’honorable auteur de Ninus II sont peu nombreuses et peu importantes. M. Brifaut cessa de très bonne heure d’être homme de lettres pour des raisons personnelles que l’homme du monde pouvait avouer, mais que le public accepte difficilement, et dont l’académicien devait se contenter moins aisément encore. Heureusement pour son indépendance et pour sa dignité, la littérature participe quelquefois des devoirs publics, et pour être plus périlleuse à de certains momens la tâche de l’écrivain n’en est que plus honorable. En traçant du premier empire un tableau rapide, M. Sandeau a paru contempler cette époque avec une indulgence à laquelle ne nous ont surtout point habitués les traditions littéraires. « La liberté, a-t-il dit, qui est l’honneur des lettres, l’aspiration des sociétés modernes, le prix légitime des efforts de l’esprit humain, n’était point alors le besoin de la France. » On sait pourtant quels déplorables résultats produisit l’absence de liberté : ce ne fut point seulement la science politique comprimée, la critique mise en suspicion, l’intelligence détournée des voies sérieuses de la philosophie et de l’histoire ; ce fut, tant il est vrai que les facultés de l’esprit sont inséparables et qu’elles souffrent ou prospèrent des mêmes causes, ce fut, dis-je, l’impuissance attachée aux productions les plus inoffensives, la fantaisie et l’imagination brisées par les mêmes obstacles qu’on opposait à l’idéologie. Rien n’est plus curieux ni plus significatif, par exemple, que cette aventure tragique dont M. Brifaut lui-même fut le héros, don Sanche se transformant du jour au lendemain en Ninus II, et la tirade babylonienne demeurant la même toutefois que la tirade espagnole, sans préjudice de la couleur locale. M. Sandeau a spirituellement essayé de sauver cette métamorphose avec cet axiome que l’homme se ressemble dans tous les siècles et sous toutes les latitudes ; néanmoins il ne nous a point rassurés sur l’efficacité d’une pareille esthétique.

Bien que Ninus II soit cité traditionnellement comme un spécimen de la littérature impériale, ce n’est point à cette complaisante tragédie pas plus qu’à ses dithyrambes officiels que M. Brifaut dut d’entrer à l’Académie française sous la restauration. Cet honneur récompensa des qualités toutes personnelles, qui ont permis à M. Sandeau de tracer de lui un très fin et très élégant portrait : grâce à cette brillante analyse, dont les procédés lui appartiennent, le roman a dû trouver pleinement grâce devant l’Académie. Cette habile mise en scène d’un personnage dont M. Vitet a dit lui-même qu’il semblait être une de ces figures légèrement artificielles qu’on aime à rencontrer dans les romans de bonne compagnie n’a pas moins charmé que surpris. L’auteur du Docteur Herbeau n’a point eu besoin en cette occasion de rompre avec ses habitudes de romancier : ce Charles Brifaut qu’il nous a dépeint est une véritable création qui s’est trouvée, dit-on, ressembler à la réalité. Il a suffi pour cela que le point de départ fût commun à la figure réelle et à la figure Imaginaire, à l’individu et au type : ce point (et M. Sandeau l’a commenté en moraliste), c’est le don de plaire, privilège de nature dont la puissance de séduction n’a d’égale que celle de la beauté. Aussi, en écoutant l’orateur, le public a-t-il été subitement saisi d’une singulière émotion :