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en persécutant un prince du sang qui avait rendu de si grands services à l’état, et il envoya cette remontrance à tous les parlemens du royaume en leur demandant de s’unir à lui dans une si bonne cause. L’alliance du parlement de Bordeaux et de celui de Paris devint si intime que le président Viole, l’émule du fameux président Broussel, étant venu rejoindre Condé à Bordeaux, prit place au parlement de cette ville immédiatement après le doyen[1]. Le premier président Du Bernet, qui en 1650 s’était montré si attaché à la cour et qui correspondait encore avec elle, fut écarté de nouveau ; il se retira à Limoges, où il mourut, et on lui substitua le président d’Affis, dévoué à la fronde et à Condé[2]. Les choses même allèrent si loin que, dans l’ardeur méridionale qui échauffait alors toutes les têtes, plusieurs membres du parlement offrirent à Condé de le proclamer duc de Guienne ; mais le prince repoussa avec colère cette déloyale proposition[3].

Du reste il ne se faisait pas, il ne s’était jamais fait illusion sur les difficultés d’une telle entreprise, et il ne s’était pas jeté de gaieté de cœur dans la guerre civile. Ses propres passions l’y portaient, l’amer souvenir de sa prison, les rêves qui avaient assiégé son esprit dans cette longue solitude, sa hauteur et son impatience, la conscience de sa force, les promesses en apparence si sûres du duc de Bouillon et de tant d’autres. En même temps, son bon sens, sa loyauté, l’instinct mal étouffé du devoir et son aversion innée pour tout ce qui ressemblait au désordre le retenaient, et dans ce combat longtemps douteux entre ses divers sentimens, ce fut sa famille et ses amis qui l’entraînèrent. Il faut bien le reconnaître : plus que personne en 1651, d’abord à Saint-Maur, puis à Chantilly, Mme de Longueville poussa son frère à se déclarer contre la cour, et c’est elle qui, dans une délibération suprême, secondée par le prince de Conti et par La Rochefoucauld, opina pour la guerre avec le plus de véhémence. Condé, en finissant par céder, leur adressa, dit-on, à tous les trois ces paroles mémorables : « Vous me jetez dans un étrange parti, dont vous vous lasserez plus tôt que moi, et où vous m’abandonnerez[4]. » Il disait vrai pour Conti et peut-être aussi pour La Rochefoucauld ; mais nous verrons si Mme de Longueville abandonna jamais les intérêts de son frère, si elle ne partagea pas fidèlement ses adversités, et si pendant tout son exil elle reparut

  1. Mémoires de Lenet, édit. de M. A. Champollion, p. 527, dans la collection Michaud.
  2. Devienne, Histoire, etc., p. 446.
  3. Lenet, Mémoires, p. 527.
  4. C’est la duchesse de Nemours, l’ennemie déclarée de Mme de Longueville, qui rapporte cette scène fort vraisemblable et ces paroles un peu suspectes. — Mémoires, édit. d’Amsterdam, 1738, p. 134.