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de France, que jusque-là il avait en vain sollicité. Il était venu des propositions encore plus pressantes de la part d’un autre personnage, le célèbre duc de Guise, qui, fait prisonnier à Naples par les Espagnols et enfermé au château de Ségovie, écrivit de sa prison à Condé pour le conjurer de l’en faire sortir, s’engageant de la façon la plus formelle, s’il lui devait sa liberté, de la consacrer à son service[1]. Condé s’empressa donc de la demander au roi d’Espagne, et il l’obtint non sans peine. Le duc de Guise se rendit à Bordeaux en quittant Ségovie ; mais, n’y trouvant déjà plus Condé, et voyant ses affaires en mauvais état, après avoir solennellement renouvelé toutes ses promesses[2], il s’en vint à Paris offrir sa chevaleresque épée à la reine et à Mazarin. Cependant il arriva peu à peu à Condé des divers points de la France des partisans moins illustres et plus fidèles : le comte de Matha et le marquis de Gerzé, gentilshommes d’une tête fort légère, mais d’une bravoure à toute épreuve ; le cadet du marquis de Mortemart, le comte de Maure, honnête homme un peu bizarre, frondeur énergique et obstiné ; le comte de Guitaut, homme d’esprit et de cœur, particulièrement attaché à M. le Prince, et qui le suivit jusque dans l’exil[3]. Mais c’étaient là des officiers sans soldats, et si le comte d’Harcourt se fût hâté davantage, s’il se fut porté rapidement sur Condé, celui-ci se serait bientôt vu bloqué dans Bordeaux et incapable de résister.

Combien n’aurait-il pas désiré avoir sous sa main les vieux régimens de sa maison, formés par ses soins, et qui l’avaient suivi sur tous les champs de bataille ! Il les avait laissés à Stenay sous le commandement du comte de Tavannes, et c’était une opération bien difficile à des troupes peu nombreuses de traverser la France tout entière et de se frayer un passage jusqu’au fond de la Guienne. Il pouvait s’en reposer à cet égard sur l’habileté éprouvée de Tavannes ; mais il souhaitait ardemment aussi obtenir de l’Espagne qu’elle joignît à ce corps des renforts considérables tirés des Pays-Bas. Pour y réussir, il envoya sur les lieux le duc de Nemours, alors

  1. Lenet, p. 529, donne la lettre même du duc de Guise à Condé du château de Ségovie, le 11 de novembre 1651, avec une instruction pour le sieur de Taillade, allant de ma part trouver M. le Prince. Le style de ces deux pièces est un opprobre à la conduite que tint bientôt après le duc de Guise. Voyez ce que nous avons dit de ce personnage dans la Jeunesse de Madame de Longueville, ch. III, page 225, etc.
  2. Déclaration de monseigneur le duc de Guise, faicte à Bordeaux, le 3e du mois courant, sur la jonction de ses intérêts avec ceux de messieurs les princes. À Paris, jouxte la copie imprimée à Bordeaux, chez Guillaume de la Court, imprimeur du Roi et de monseigneur le Prince, 1652.
  3. Il ne faut pas confondre ce comte de Guitaut avec le comte du même nom de la maison de Comminges, capitaine des gardes de la reine Anne, et qui arrêta Condé au Louvre le 19 janvier 1650. L’ami de Condé appartenait à une autre branche de la même famille originaire d’un petit lieu des Pyrénées appelé Pechpeirou.