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le portait à secouer enfin la tutelle de Mme de Longueville. Il ne supportait guère moins impatiemment celle de Lenet et de Marsin, qui, entretenant une correspondance assidue avec leur maître absent, n’obéissaient qu’à ses instructions, sans compter assez avec son représentant officiel, et celui-ci revendiquait souvent avec une humeur peu dissimulée l’autorité qui lui appartenait. Il en résultait des embarras et des tiraillemens fâcheux dans la direction des affaires.

Après le prince de Conti, Mme de Longueville était la personne qui semblait la plus faite pour exercer une influence décisive par les lumières de son esprit, la hardiesse de son caractère et la haute confiance qu’elle inspirait à tout le parti. En 1650, elle s’était couverte de gloire à Stenay, et avait fixé sur elle les regards de la France et de l’Europe. Elle ne pouvait jouer le même rôle à Bordeaux. Chargée à Stenay de l’autorité suprême, elle avait été comme obligée de montrer son intelligence et son énergie ; ici elle n’était qu’une conseillère médiocrement écoutée. Et puis en 1650 l’état de son âme était bien différent. Avec un attachement sincère aux intérêts de son parti et de sa maison, un autre sentiment plus intime l’animait et la soutenait : elle aimait et elle était aimée. Un dévouement réciproque honorait en quelque sorte cette passion, qui avait déjà traversé trois longues années et trouvait son aliment et sa force dans de communs sacrifices. En effet, si Mme de Longueville avait bravé en Normandie tous les genres de péril et la mort même pour aller à travers l’Océan gagner les Pays-Bas et relever à Stenay le drapeau de la fronde, La Rochefoucauld, nous le reconnaissons volontiers, n’avait pas cessé d’avoir les armes à la main ; il avait vu tous ses biens de Saintonge et d’Angoumois ravagés, et sa belle maison de Verteuil à peu près ruinée. C’était alors le plus beau temps de leur vie : ils souffraient, ils combattaient l’un pour l’autre ; ils avaient la même cause, la même foi, les mêmes espérances. Jamais leurs cœurs ne furent plus unis que pendant cette cruelle année où, séparés par la guerre, ils pouvaient à peine des deux extrémités de la France s’adresser, à travers mille hasards, quelques billets insignifians en apparence, mais où respirent une tendresse et une confiance à toute épreuve[1]. Aujourd’hui tout était changé. La Rochefoucauld s’était lassé de la fronde, où lui-même il l’avait jetée en 1648. Dans l’année 1651, à ce qu’il dit et à ce qu’il semble bien, il avait été d’avis de s’accommoder avec la cour et de faire une paix qui paraissait assez peu honorable à Mme de Longueville, et qui de plus les eût infailliblement

  1. Nous avons eu la bonne fortune de retrouver deux lettres de Mme de Longueville à La Rochefoucauld, datées de Stenay, et on les verra dans un des chapitres de l’ouvrage que nous préparons : Madame de Longueville pendant la Fronde.