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tite ville du département du Bas-Rhin, située à quelques lieues de Strasbourg.

Angoulin se décida alors à partir pour Wasselonne, et arrivé dans cette ville, fidèle à ses habitudes tortueuses, il se garda d’aller droit à son but. Il feignit de vouloir acheter une propriété, et se mit en rapport avec les notaires de la localité. Bientôt il parvint à se convaincre que tout ce qu’on lui avait dit était vrai. Il apprit que c’était à Wasselonne même que Pierre Cassagne avait épousé Marguerite Dietz. Il essaya de se procurer les actes constatant l’état civil de l’orpheline de Sainte-Quitterie ; mais ses démarches avaient fini par inspirer la défiance, et, sans prévenir personne, il quitta un beau matin Wasselonne et retourna en Armagnac, se proposant d’obtenir ces actes lorsqu’il serait marié avec Margaride. Il ne prévoyait aucune difficulté de la part de l’orpheline, qu’il considérait comme une idiote, ni de la part de Jean Cassagne, qui ne pouvait manquer d’être ébloui par la fortune de son futur neveu. Il crut être fin en ne demandant pas d’abord la main de Margaride, et en donnant à Marioutete l’espérance d’un si riche mariage. La légèreté de celle-ci ne pouvait manquer de lui fournir un sujet de rupture, et alors on eût été moins étonné de le voir s’adresser à sa cousine.

L’amour de Frix était venu porter le désordre dans cette combinaison. Angoulin crut d’abord à un simple caprice, obstacle facile à lever avec de l’argent ; mais bientôt, avec son expérience de vieux joueur, il comprit que son jeu était deviné. Il ne voulut pas néanmoins abandonner la partie. Ce Machiavel rustique n’était pas mû par le point d’honneur, mais par l’ardeur du gain et par l’invincible besoin de rentrer dans ses déboursés. Son plan fut immédiatement arrêté : il résolut de se débarrasser de Frix, d’éblouir Jean Cassagne par un présent considérable, et de le forcer d’agir vigoureusement sur la pauvre Margaride, abandonnée à elle-même ; mais comment se débarrasser de Frix ? Angoulin alla trouver Moucadour, qu’il savait rusé et peu scrupuleux. Moucadour, voyant ses offres dédaignées par Frix, entra franchement dans le parti d’Angoulin, après avoir eu la précaution de se faire donner des arrhes considérables.

Le jour de la fête était arrivé. Le temps était magnifique. La petite église couverte de lierre, située au sommet d’une colline, faisait depuis le matin entendre les joyeuses volées de sa cloche, qui semblait bénir la vallée. Les carrerots (chemins creux), étroits, ravinés, profonds de deux ou trois mètres, dominés par l’épaisse verdure des chênes noirs et des châtaigniers, étaient remplis de piétons et de cavaliers. Les merles et les grives, attablés dans les vignes, fuyaient effrayés devant le rire éclatant des filles poursuivies par leurs ga-