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loin, et au milieu de tous les soucis qui le pressaient, de Paris, de Flandre même, il ne perdit jamais de vue Bordeaux, et sa correspondance avec Lenet, précieux monument de sa capacité administrative et de son activité infatigable, nous montre quels sages conseils il adressa d’abord à ses amis ; puis lui-même il cède par degrés à la nécessité, et il finit par passer tout à fait du côté de l’Ormée.

Il écrit de Paris à Lenet le 3 juin 1652 : « Quant à la division de Bourdeaux, j’en ai un tel déplaisir que je vous prie de vous employer pour la réunion de tous les esprits, et particulièrement pour empêcher que ceux de la petite fronde ne succombent aux poursuites qui se font contre eux, y ayant de mes meilleurs amis qui y sont intéressés, que je ne puis souffrir plus longtemps être entrepris comme ils sont par ceux de la grande et par l’Ormée. Je ne veux pas pour cela abattre ces derniers, mais je désire de leur affection qu’ils ne se portent pas aux extrémités…[1]. » Lenet, qui souhaitait un accommodement avec la cour et partageait toutes les illusions de La Rochefoucauld, aurait bien voulu ne s’appuyer à Bordeaux que sur la partie la plus éclairée et la plus élevée du parlement et de l’hôtel de ville : il cherche à prévenir Condé et à l’entraîner contre l’Ormée ; le prince s’y refuse et lui recommande de ne pas le compromettre en prenant trop hautement la défense de la petite fronde ; il l’engage à faire effort sur lui-même pour mieux vivre avec les ormistes, « Il est à propos, lui écrit-il le 9 juin, que vous ne rebutiez pas tout à fait ceux de l’Ormée, de crainte que par leurs emportemens ordinaires ils ne viennent à nous accuser d’être mazarins. » Et il faut bien que Lenet lui eût fait entendre ou qu’il eût en secret mandé à La Rochefoucauld et à Mme de Châtillon que Mme de Longueville et à sa suite le prince de Conti favorisaient l’Ormée, car dans cette même lettre du 9 juin Condé l’invite à découvrir ce qu’il y a de vrai dans ce bruit. Lenet eut donc avec Mme de Longueville et le prince de Conti une explication sérieuse sur la part qu’ils prenaient aux mouvemens de l’Ormée ; ils s’en défendirent vivement, et Lenet rapporte que Mme de Longueville versa des larmes à l’ombre seule de l’injurieux soupçon qu’elle pouvait nuire aux intérêts de son frère[2]. On tint des conférences avec les chefs de l’une et de l’autre fronde pour essayer de les porter à s’unir dans l’intérêt commun. On les invita à se conformer aux ordres de Condé. Ceux de la grande fronde répondirent qu’il était notoire que « son altesse était environnée de mazarins, et qu’elle serait bien aise quelque jour de tout ce qu’ils faisaient. » Lenet, se laissant séduire aux passions de ses amis de la petite fronde, prit d’assez fausses mesures, très peu d’accord

  1. Lenet, p. 547.
  2. Lenet, p. 549.