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telle violation de la foi publique et réclama les vaisseaux qu’on lui avait pris ; Cromwell maintint cet acte inique et insolent sous les plus frivoles prétextes[1]. Son vrai motif était l’intérêt anglais. Ce même motif lui fit plus tard proposer à Condé de lui donner vingt vaisseaux, que l’on fréterait sous le nom de quelque marchand moyennant 200,000 écus, afin de s’emparer de quelque port de Normandie, par exemple Quillebeuf, et d’en faire un point d’appui au soulèvement des protestans de la province. Lenet affirme que Cromwell avait envoyé en Flandre à Condé un député, et que celui-ci avait assuré que bientôt les Anglais seraient dans la rivière de Bordeaux[2]. Enfin il est certain qu’en 1653 Cromwell chargea un de ses agens diplomatiques les plus affidés, Stoop, moitié soldat, moitié ministre du saint Évangile, de faire une tournée en France, non pas seulement, comme le dit Burnet[3], pour sonder les dispositions des populations protestantes, mais pour s’entendre avec leurs chefs et les pousser à la révolte en leur prodiguant toute sorte de promesses. Cela est si vrai que Stoop vint trouver en Flandre le prince de Tarente, un des plus intimes amis de Condé, et lui offrit au nom de Cromwell tout ce qui pouvait dépendre de lui, s’il voulait se mettre à la tête des protestans de France lorsque le temps serait venu d’agir pour la cause commune. Le récit du véridique et loyal La Trémoille ne peut laisser à cet égard aucune incertitude[4].

  1. Mémoires de Montglat, collection Petitot, t. L, p. 381 : « En septembre 1652, le duc de Vendôme, grand-amiral de France, alla secourir Dunkerque avec ses vaisseaux ; il avoit doublé la pointe de Bretagne et avoit fort avancé dans la Manche d’Angleterre, lorsque Cromwell, protecteur de ce royaume-là, fut sollicité par l’ambassadeur d’Espagne, qui étoit près de lui, de s’opposer à ce secours, en le piquant d’honneur sur ce que la France n’avoit point d’ambassadeur à sa cour, et ne vouloit point reconnoître la république qu’il avoit fondée, outre que le roi d’Angleterre, son ennemi capital, quoique son maître, et le duc d’York, son frère, étoient réfugiés à Paris et protégés par le roi de France. Ces raisons obligèrent Cromwell de faire sortir sa flotte en mer, laquelle, sans aucune guerre déclarée, s’opposa au passage de l’armée navale de France, et même prit beaucoup de vaisseaux. Cet obstacle imprévu contraignit le duc de Vendôme de se retirer à Brest et d’Estrades de rendre Dunkerque aux Espagnols, n’espérant plus de secours. »
  2. Lenet, p. 612.
  3. Burnet est instruit, judicieux, très modéré dans les affaires de son pays ; mais il n’a pas la moindre idée de celles de France. Il ne sait rien que par Stoop, espion hardi et intelligent, mais sans foi. C’est d’après les récits de Stoop que Burnet assure que Condé offrit à Cromwell de se faire protestant, et autres sottises de ce genre qu’il est inutile de réfuter. Voyez Histoire de mon temps, dans la collection des Mémoires relatifs à la révolution d’Angleterre, par M. Guizot, t. Ier, p. 150 et suiv.
  4. Mémoires du prince de Tarente, p. 169-171 : « Un ministre protestant nommé Stouppe vint faire des propositions de la part de Cromwell, qui l’avoit envoyé en France pour assurer nos églises réformées de sa protection, si elles vouloient s’unir pour demander à la cour le rétablissement de leurs privilèges. Le cardinal Mazarin, qui en fut averti, mit des gens en campagne pour arrêter Stouppe. Il avoit déjà parcouru le Languedoc et les Cévennes, lorsqu’il apprit qu’on le cherchoit. Il s’évada, mais il n’eut pas le temps de sauver ses papiers, qui furent saisis. Il me vint trouver à Spa, et, ne pouvant me montrer sa commission, qui avoit été prise, il m’assura eulement de bouche qu’il avoit charge du protecteur de me promettre tout ce qui pouvoit dépendre de lui, si je voulois me mettre à la tête des protestans de France lorsqu’il seroit temps d’agir pour les intérêts de la cause commune, etc. La conclusion fut que je demeurerois en Hollande jusqu’à ce que le protecteur se fût déclaré contre la France ou contre l’Espagne, que, si c’étoit contre la France, je prendrois avec lui des mesures plus certaines dont M. le Prince pourrait se prévaloir. »