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elle n’en resta pas moins glorieuse pour celui qui l’avait conçue et dirigée. Botzaris, le premier, avait eu l’idée d’une grande opération militaire qui aurait procuré à sa patrie d’autres avantages que ceux d’une éphémère victoire. Arta pris, les Souliotes devenaient en effet maîtres des rivages du golfe d’Ambracie, et donnaient la main aux insurgés de l’Étolie, de l’Acarnanie et du Péloponèse. Quelle puissance l’insurrection n’acquérait-elle pas, réunie ainsi en un seul faisceau ? Ce projet, comme on vient de le voir, eût réussi sans la défection des Toxides.

Quelques jours après la retraite des Souliotes, la tour de Regniassa fut reprise par les Turcs. Les circonstances qui accompagnèrent ce nouvel échec montrent bien de quelle façon les austères guerriers de l’Épire comprenaient le devoir et l’honneur militaires. Cinquante-trois pallikares seulement formaient la garnison de Regniassa ; ils avaient fait serment entre les mains de Botzaris de défendre ce poste jusqu’à la mort. Achmet-Aga les investit avec une troupe de trois mille hommes ; repoussé dans un premier assaut, il jugea prudent de proposer un arrangement aux assiégés, à la tête desquels se trouvait un capitaine du nom de Timolas. Celui-ci et ses compagnons, désespérant de se maintenir en face d’un ennemi aussi nombreux, consentirent à capituler : ils posèrent pour toute condition qu’il leur serait permis de retourner dans leurs foyers avec armes et bagages. Cette clause n’ayant soulevé aucune difficulté, ils évacuèrent le poste qui leur avait été confié ; mais lorsqu’ils eurent atteint les rives de l’Achéron, ils rencontrèrent un détachement de pallikares descendus de Souli avec ordre de les désarmer et de leur interdire l’entrée du territoire de la confédération. Les montagnards avaient été indignés de la reddition de Regniassa ; ils accusaient de parjure et de lâcheté les soldats de Timolas, qui avaient juré de s’ensevelir sous les ruines de cette forteresse. Ces derniers, accablés de remords et de confusion, essayèrent vainement de fléchir le courroux de leurs compatriotes ; ils furent contraints de se laisser désarmer. Un arrêt du conseil des gérontes les retranchait du sein de la patrie. En même temps les maisons qu’ils possédaient dans les villages furent peintes en noir du haut en bas, comme s’ils étaient réellement morts, et leurs femmes se présentèrent en habits de deuil devant l’assemblée des vieillards pour demander le divorce, usant ainsi d’un droit que la rigoureuse législation de Souli leur accordait en pareille circonstance. Pendant plusieurs jours, ces malheureux errèrent autour de leurs montagnes, repentans et désolés. Enfin, sur l’invitation de Botzaris, naturellement porté à la clémence, les prêtres s’étant interposés entre le conseil des gérontes et les coupables, ces derniers recouvrèrent leurs armes ; mais la patrie ne consentit à les admettre de nouveau dans son sein que lorsqu’ils se