Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

III

Un mois après l’affaire d’Arta (27 mars 1822), Ali-Pacha fut enfin pris et décapité, et Kourchid, le plus actif et le plus habile des généraux turcs, se prépara à jeter par quatre points différens quarante mille hommes dans la montagne de Souli, qui semblait ainsi réservée à de tragiques infortunes. Marc Botzaris regardait le salut de la Grèce comme attaché à la conservation de la Selléide. L’Épire, au sein de laquelle l’opiniâtre vitalité de la nation grecque n’avait cessé de se manifester depuis plusieurs siècles, lui paraissait être le champ de bataille sur lequel la Grèce devait consommer l’œuvre de son émancipation ; la lutte, selon lui, était appelée à trouver son terme dans les lieux mêmes où elle avait pris naissance. Si cette pensée s’était réalisée, la Grèce aurait conquis son indépendance en peu de temps ; elle eût aussi gardé ces fertiles provinces qu’elle convoite encore, et dont la possession lui aurait assuré dès lors une importance géographique et politique, avec des élémens de force et de richesse que ses étroites limites ne peuvent aujourd’hui lui procurer. Pour accomplir ce projet, il fallait que Kiapha opposât un infranchissable obstacle aux barbares descendus en foule de Constantinople ; il était donc urgent de conjurer le danger terrible dont Kourchid, débarrassé d’Ali, menaçait la montagne de Souli, cette grande forteresse de l’insurrection dans le nord, ce puissant boulevard de l’indépendance.

Marc Botzaris se rendit en toute hâte à Corinthe ; il réclama du sénat hellénique, assemblé dans cette ville, un prompt secours, qui lui fut accordé sans difficulté, Colocotroni revit à cette occasion son frère d’armes adoptif, et l’aida de sa puissante influence auprès du sénat. Son entrevue avec le chef déjà célèbre des Souliotes fut signalée par un incident qui témoigne de la simplicité vraiment antique que Botzaris ne cessa de conserver dans ses habitudes. Colocotroni, le premier, alla trouver celui qu’il avait autrefois connu obscur, et qu’il revoyait maintenant environné d’un grand prestige. Il avait revêtu son costume le plus resplendissant : un châle précieux des Indes serrait étroitement sa taille ; un sabre au fourreau d’argent ciselé pendait à son côté, et il avait jeté sur ses épaules un de ces gilets à larges manches couverts d’épaisses broderies d’or que les armatoles se transmettaient autrefois de père en fils, et qui représentaient une valeur considérable. Marc au contraire, arrivé à Corinthe sans suite et sans faste, n’avait point quitté le modeste costume des montagnards ; il portait, comme d’ordinaire, une veste de drap bleu, l’ample capote de poil de chèvre, et