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monastiques, comme une dernière ressource morale, pour sauver l’âme humaine de l’injustice, du mensonge et de la méchanceté, et pour faire le contre-poids naturel des triomphantes doctrines du Prince. Ce fut là bien réellement la création originale du candide Luther. Plus de brillans mensonges, plus de faux idéal, plus d’aspirations prétentieuses à une inaccessible sainteté ! La vie morale, active, pratique, fut glorifiée ; le christianisme sortit des temples pompeux et des monastères silencieux, et vint s’asseoir à l’humble foyer du peuple. Il se mêla aux humbles détails de la vie domestique, aux jeux des enfans, aux tribulations des ménages ; il suivit le paysan au labourage, le fermier au marché, l’artisan à l’atelier, la ménagère à sa cuisine. Les âmes honnêtes, fortifiées par cette visite inattendue du seigneur-roi de l’univers dans leurs chétives demeures, sentirent la fierté croître en elles. Une joie grave et naïve, comme celle que nous laissent les paroles sympathiques et les touchantes marques de bonté de nos supérieurs, remplit toutes les âmes honorées de ces familières visites du Christ, et peu à peu une nouvelle manière de vivre s’établit, austère et charmante, scrupuleuse, un peu craintive, avec des habitudes de sagesse modeste et de discipline volontaire.

Toute société une fois formée, toute manière de vivre une fois établie appellent leurs peintres et leurs poètes. Peintres et poètes arrivèrent, et un nouvel art apparut, celui qu’on peut appeler essentiellement l’art réaliste. Les artistes peignirent ce qu’ils voyaient autour d’eux : une société populaire forte et sans éclat, des habitudes peu brillantes, mais familières et naïves, les honnêtes joies des bonnes gens, les péchés véniels et les petits déréglemens des gens rangés et économes, les satisfactions de la médiocrité laborieuse, les amours autorisés sous l’œil vigilant de la famille, les relations de voisinage, les intérieurs somptueux des graves et actifs commerçans, et les splendeurs seigneuriales des riches bourgmestres. Un même sentiment remplit toutes les petites toiles de T école hollandaise, le sentiment de l’honnêteté, l’estime de la vie moyenne, la fierté de l’âme probe pour elle-même. Quand ils peignent des vices, ce sont des vices sans sérieuse portée morale, des vices bruyans, tapageurs, pleins de bonhomie et exempts de toute corruption, lourdes ivresses de paysans, sarabandes de village, rixes de champs de foire. Même lorsque l’artiste est un homme de génie, comme Rembrandt, il ne s’écarte pas de ce sentiment dans ses plus grandes audaces. Rembrandt ne conçoit pas pour ses rêves d’autre milieu que le milieu de la vie humble et populaire. Il place hardiment les scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament dans la basse-cour d’une ferme, dans la salle vulgaire d’une auberge de village,