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étrangère à l’Italie ; mais en revanche on y verra se dessiner le plus grand des évêques du Ve siècle, Épiphane de Pavie, à qui n’a manqué, sous l’habit du prêtre, aucune des qualités du héros, ni le génie, ni le dévouement, ni l’amour de son pays.

Séverin était venu s’établir en Pannonie dans l’année même qui suivit la mort d’Attila, et quand ce pays était bouleversé par les guerres cruelles que se livraient les fils et les capitaines du conquérant pour se partager sa dépouille. Nul ne connaissait le nouveau-venu, et nul ne sut jamais ni son origine ni sa vie passée. Toutes les fois qu’on l’interrogeait sur sa personne, il semblait montrer de l’irritation ou gardait un silence dédaigneux. Dieu l’avait envoyé, disait-il, pour assister des populations souffrantes, souffrir avec elles, et non pour satisfaire une futile curiosité. Cet homme, encore jeune, d’une austérité de vie incroyable, même chez un moine, et d’une volonté à l’épreuve des plus grands obstacles, entreprit de sauver de l’irruption barbare les villes romaines du Danube, qui n’avaient plus ni soldats pour les défendre, ni magistrats pour les gouverner. Il leur inspira l’énergie de se protéger elles-mêmes, il les rattacha entre elles par un lien commun, au nom de Dieu et de la charité ; il fut leur conseiller, leur sauveur, leur roi absolu. Son autorité s’étendit pareillement sur les peuples barbares qui enveloppaient ces villes et les menaçaient. Le saint (c’est ainsi qu’on l’appelait) fut bientôt considéré comme un messager du ciel et un prophète, dont tous les actes étaient des miracles et toutes les paroles des prédictions. Étrange gouvernement, dont le Capitole était une cellule, le despote un saint, et les ministres des moines ordonnant, administrant, faisant la paix ou la guerre !


I

Vers l’année 470 ou 471, lorsque le règne d’Anthémius commençait à chanceler en Italie et que celui du moine Séverin dans le Norique atteignait son plus haut degré de puissance, un soldat ruge, parti des bords du Danube pour aller, à travers les Alpes, chercher du service en Italie, passa près de la cellule du saint, placée dans un des vallons les plus agrestes du mont Kalenberg. Aucun Barbare n’approchait jamais de ce lieu vénéré sans visiter le prophète, lui demander sa bénédiction et provoquer de lui quelque mot qu’on pût regarder comme un avis ou une prédiction, et que chacun interprétait suivant sa pensée. La cellule était basse, et le nouveau visiteur, d’une taille au-dessus de l’ordinaire, ne put franchir le seuil qu’en se baissant, et se tenir debout sous le toit qu’en courbant la tête. C’était un homme encore jeune, d’une allure martiale,