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on pouvait opposer les Barbares aux Barbares, et combiner, pour la garde des empereurs, un système d’enrôlement qui échappât à l’action de Ricimer. Il semble que ce fut là l’idée d’Anthémius, et peut-être la cause immédiate de sa ruine. On voit en effet, vers cette époque, des corps entiers, et en particulier celui des domestiques, se recruter de Ruges, d’Hérules, de Scyres, de Turcilinges, d’Alains, enrôlés individuellement ou par petits groupes isolés, et ces bandes de race différente, soumises au commandement d’officiers romains, formèrent, suivant toute apparence, ce qu’on appela les nations. Ce ne fut plus, comme l’armée de Ricimer, une masse homogène, un peuple que son roi louait à l’empereur, mais une troupe stipendiée directement par l’empereur, et qui lui resta fidèle quand la guerre éclata entre son patrice et lui. Telle est en effet la transformation qu’on voit s’opérer sourdement dans la milice romaine sous le règne d’Anihémius. Oreste semblait fait exprès pour la diriger, lui qui connaissait si bien les intérêts, les mœurs, les alliances ou les inimitiés des Barbares, et que ceux-ci regardaient presque comme un homme de leur sang. On peut supposer qu’il fut d’abord employé par Anthémius à des missions de ce genre, et que l’aventurier pannonien dut à cette utilité toute particulière sa faveur marquée à la cour et un poste dans la garde palatine. Le scribe qui avait tenu le registre des armées d’Attila devint le recruteur en chef de la garde des césars.

Grâce à cette circonstance et à l’engouement dont les recrues ruges, hérules et turcilinges furent dès lors l’objet, Odoacre entra d’emblée dans le corps des domestiques, en qualité de doryphore ou porte-lance. Oreste l’attacha à son service personnel ; il le prit pour écuyer, nous dit la tradition. Le fils d’Edécon assista, dans cette situation modeste, aux guerres civiles qui amenèrent la chute d’Anthémius, suivie si promptement de la mort de Ricimer et de celle d’Olybrius, son digne protégé. Ces guerres durent offrir au doryphore plus d’une occasion de montrer sa vive intelligence et son audace. Il s’acquit dans la milice palatine, ennemie des Suèves, une popularité qui faisait déjà de lui un personnage important, quand il n’était encore que simple soldat.

Dans cette position, Odoacre assista aux grands drames qui précédèrent la chute de l’empire d’Occident. Il prit part à la lutte de Ricimer contre Anthémius. Il vit les progrès des patrices barbares, se rendant maîtres du trône impérial sans oser eux-mêmes s’y asseoir, puis le patriciat, devenu héréditaire, transmis du puissant Ricimer à l’imbécile Gondebaud. Il traversa le règne ridicule d’Olybrius, le protégé des Vandales, puis celui de Glycerius, le protégé des Burgondes, règnes éphémères, mais trop longs pour l’honneur