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armée campée sous les murs de Rome, Oreste reçut l’ordre de conduire cette armée en Gaule pour pacifier la cité d’Auvergne et assurer l’exécution du traité passé avec le roi des Visigoths. C’est ici que s’ouvre la série des événemens qui, en moins d’une année, firent du porte-lance Odoacre un général et plus qu’un empereur.

L’armée réunie sous les murs de Rome se composait des corps qui avaient pris parti pour Népos et de ceux qui, restés fidèles à Glycerius, s’étaient dispersés lorsque leur chef leur avait donné, par sa retraite précipitée, le signal de la déroute. Répandus dans la campagne de Rome, ils l’infestaient de leurs brigandages, et une fois la guerre terminée, Népos s’occupa de les rallier et de les refondre avec les premiers, afin de reconstituer sur son ancien pied l’armée italienne. Il semble qu’Oreste avait été chargé de ce travail. Soit que le Pannonien, voyant Glycerius s’abandonner lui-même, eût déserté sans scrupule pendant la lutte, entraînant avec lui la garde impériale, dont il était un des chefs influens, soit qu’il eût attendu, suivant son habitude, que la fortune eût prononcé, on le retrouve après la victoire à la tête de l’armée reconstituée, et le plus important des capitaines de Népos. Il avait son quartier-général à Rome même, dont il occupait le territoire, tandis que l’empereur était rentré dans Ravenne, véritable siège du gouvernement et métropole des affaires.

Ce voisinage de Rome, dangereux pour la discipline des soldats, l’était encore plus pour la fidélité des officiels. C’est là que se donnaient carrière, avec une liberté qu’ils n’eussent pas osé invoquer ailleurs, les partis ennemis de Népos : fonctionnaires disgraciés de Glycerius, sénateurs oubliés par le nouveau prince, vieux Romains dont l’orgueil ne se mesurait pas à la réalité des choses, et qui voyaient de bonne foi dans une intervention de l’empire d’Orient un attentat contre Rome et une oppression pour l’Italie, ambitieux de toute classe, fauteurs de révolutions sous le masque du patriotisme occidental. Ni les bonnes intentions de Népos, ni ses efforts pour faire le bien, n’avaient réussi à le rendre populaire. L’amère critique dont ses actes étaient l’objet dans la ville éternelle parut aisément à des généraux avides de pouvoir un appel à la révolte. L’histoire ne saurait affirmer, en l’absence de documens positifs, que le sénat ou du moins une notable partie du sénat prit une part directe au complot qui ne tarda pas à s’organiser ; mais l’attitude des sénateurs vis-à-vis de ce malheureux prince fut si ouvertement hostile, que l’empereur d’Orient put leur dire plus tard avec justice : « C’est vous qui l’avez renversé. »

Dans ce tourbillon de préjugés et de passions qui travaillaient pour lui, Oreste, clairvoyant et réservé, se tenait prêt à tout événement.