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barbares, et passant des mains de Ricimer à celles de Gondebaud, puis de Gondebaud à Oreste et à Odoacre, toujours plus faible, plus méprisé, plus abattu. Et lorsqu’on vit des noms depuis longtemps étrangers à la nomenclature des césars, les noms de Jules et d’Auguste, sortir des tombeaux de l’histoire comme autant de spectres annonçant le dernier jour, et celui de Romulus expirer sur la tête d’un enfant, la frayeur publique n’eut plus de bornes. Ces rapprochemens fortuits présentaient dans leur bizarrerie je ne sais quoi de surnaturel qui justifiait la crédulité, et troublait jusqu’aux plus fermes esprits ; on baissa la tête et on se tut.

Les funérailles de Rome s’accomplirent donc au milieu d’un morne silence. Nous ne trouvons dans les écrivains contemporains ni accens de regrets ou de joie, ni déclamations en prose ou en vers ; quelques dûtes et une sèche mention du fait, voilà tout. On dirait qu’il ne s’était rien passé d’important en l’année 476. Le seul Jornandès, un peu plus tard, embouche sa trompette barbare sur le tombeau de l’empire, mais c’est pour chanter l’avènement des Goths.


II

Odoacre ne resta dans Ravenne que le temps nécessaire pour établir une ombre de gouvernement, puis il alla prendre possession de l’Italie. Ses troupes, avides de pillage, se répandirent de tous côtés comme en pays conquis ; ce fut la même conduite, le même spectacle lamentable : des campagnes ravagées, des villes sans défense incendiées et pillées, d’autres essayant de résister et payées de leur courage par la ruine. L’histoire atteste qu’en plusieurs lieux les soldats ne laissèrent pas une âme vivante, pas une maison debout. Précédé par ces exemples, Odoacre entra dans Rome épouvantée, et s’y fit confirmer sans obstacles, comme on peut le croire, l’autorité souveraine qu’une révolution venait de placer dans ses mains. Il garda le titre de roi, sans y attacher une dénomination de territoire ou de peuple, et sans prendre ni le manteau de pourpre des césars, ni les insignes des rois germains. De là résulte la grande variété de dénominations sous lesquelles les contemporains le désignent, les uns l’appelant roi des Hérules, les autres roi des Ruges, des Turcilinges et des Scyres, d’autres enfin roi des nations, ce qui indiquait mieux le vrai caractère de cette royauté décernée par des soldats de peuples divers ; mais nul ne le qualifie de roi d’Italie, et lui-même ne s’attribua jamais un pareil titre. Sous son habit militaire, qu’il ne quitta que beaucoup plus tard, il se présentait devant le sénat et le peuple de Rome comme un dictateur barbare, chef d’une armée auxiliaire en révolte. Il y fit décréter,