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remplir, celle d’une alliée généreuse et non d’une dominatrice envahissante. Nous aimerions que ce sentiment de justice eût plus d’influence encore sur l’Allemagne que les conseils que la Russie vient de lui adresser dans la circulaire du prince Gortchakof. Le bon vouloir de la Russie pour l’entreprise qui s’accomplit en Italie était aussi peu douteux que sa rancune contre l’Autriche. Ce qui nous rassure plus encore que la circulaire du prince Gortchakof, c’est qu’il paraît que la Russie a fait des efforts sérieux pour décourager toute tentative intempestive d’insurrection de la part des populations chrétiennes de l’empire ottoman. La Russie, nous devons donc le croire, cherche, elle aussi, à localiser la guerre, et à empêcher que la question italienne ne soit compromise par des complications en Orient ; mais nous trouvons une garantie bien plus forte de la tranquillité de l’Orient dans les explications données par un ministre grec, M. Rangabé, au parlement hellénique. « La France, a dit M. Rangabé, a été plus explicite encore que la Russie, car elle ne nous a pas caché que, si le moindre trouble avait lieu en Orient, elle serait obligée, vu sa position actuelle, d’y intervenir avec l’Angleterre, afin de réprimer tout mouvement. » Cette persistance de la France dans une politique générale de coopération avec l’Angleterre en Orient est plus sage qu’un système de coquetteries avec la Russie ; c’est la façon la plus sûre de maintenir dans la guerre actuelle la neutralité anglaise.

Ainsi les faits militaires, les manifestations de l’Italie, la volonté déterminée de la France de prévenir, autant qu’il dépendra d’elle, toute complication inopportune, et l’attitude diplomatique de deux grandes puissances nous donnent aujourd’hui plus que jamais l’espoir que la guerre sera localisée en Italie. On veut voir, dans la crise ministérielle qui, en Angleterre, fait passer en ce moment le pouvoir des mains de lord Derby à celles de lord Palmerston, une nouvelle condition de succès pour la politique qui s’efforce de restreindre la guerre, et d’affranchir entièrement l’Italie de la domination autrichienne avec l’assentiment de l’Europe. Il y a peut-être dans cette opinion un peu d’injustice à l’égard de lord Derby. Le cabinet de lord Derby était sincère à coup sûr dans sa politique de neutralité. Il avait donné des gages de sa sincérité en faisant parvenir aux cours allemandes des conseils si sages, que le prince Gortchakof en a lui-même invoqué l’autorité. Le cabinet de lord Derby était d’ailleurs un ministère faible ; il n’avait pas la majorité ; il ne pouvait pas se permettre de faire à l’opinion publique la moindre violence : il était au contraire obligé d’en étudier les tendances et d’en ménager les vœux. Suspect d’avoir des prédilections pour l’Autriche, il était contenu par ces défiances toujours en éveil, qu’entretenait encore l’opposition. Sa faiblesse était donc une garantie contre les velléités allemandes qu’on lui prêtait, à tort suivant nous. Cette réserve faite, nous reconnaissons que le ministère libéral est bien plus favorable que le cabinet tory à la politique suivie par la France en Italie. Nous croyons en effet, et le discours prononcé par lord John Russell, qui va sans doute prendre les affaires étrangères, dans la discussion de l’adresse l’annonce suffisamment, que les membres du nouveau ministère veulent l’indépendance de l’Italie. Nous trouverons donc chez eux un précieux concours moral non-seulement pour calmer les agitations de l’Allemagne, mais pour obtenir la résignation de l’Autriche, à l’arrêt que prononcera la fortune des armes.