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La discussion qui dès l’ouverture du nouveau parlement a mis en question l’existence du ministère de lord Derby n’a point présenté l’intérêt oratoire qui rattache ordinairement aux grandes luttes des partis dans la chambre des communes. La question agitée n’était point en effet un de ces intérêts élevés de réforme ou de conservation autour desquels l’Angleterre accomplit, en se contenant, sa marche progressive. Le débat était tout personnel. Lord Derby avait dissous la chambre des communes sans engager la lutte électorale sur une question de principe. Il avait simplement invité le pays à élire une majorité assez unie pour qu’un ministère expression de cette majorité pût gouverner à l’intérieur et conduire au dehors les affaires du pays avec une autorité suffisante. Pour recommander son parti à la faveur du pays, il s’était contenté de présenter les conservateurs comme formant la section la plus nombreuse et la plus disciplinée parmi les fractions diverses entre lesquelles se partageait la chambre des communes. C’était ainsi une question de confiance qu’il avait posée aux électeurs du royaume-uni. Il était naturel que le premier acte de la nouvelle chambre élue dans de telles conditions fût de répondre à cette question au nom du pays. C’est ce qui a déterminé l’opposition à poser la question de confiance dans la discussion même de l’adresse, contrairement à l’usage qui est de ne consacrer à ce débat qu’une simple séance. Une telle lutte se réduisait à des plaidoyers personnels et à des actes d’accusation contradictoires. Dans l’état de division des partis, il s’agissait de savoir lequel d’entre eux pouvait se présenter au pays en réunissant les élémens et les moyens de gouvernement les plus sérieux. La thèse de l’opposition était donc de prouver que les ministres, dans leur politique intérieure, n’étaient point en harmonie avec les tendances réformatrices du pays, et avaient été au moins inhabiles dans leur politique extérieure. C’est surtout les fautes ou les accidens de leur politique étrangère que leur reprochait l’opposition. On ne leur pardonnait pas de n’avoir point su prévenir la guerre, on les blâmait d’avoir pris une attitude hostile vis-à-vis de l’Italie, on les accusait surtout de laisser les relations de l’Angleterre avec la France s’altérer par un refroidissement graduel. De leur côté, les ministres et leurs amis, s’ils avaient tort sur le fond des choses, avaient plus beau jeu que leurs adversaires dans le côté satirique et personnel de la lutte. L’opposition ne pouvait attaquer l’existence du ministère sans s’être concertée d’avance sur la composition du futur cabinet, car le bon sens et le patriotisme anglais n’admettent pas qu’un parti politique renverse un gouvernement sans être prêt à prendre lui-même la responsabilité du pouvoir. Or l’opposition, pour organiser d’abord une majorité hostile au parti conservateur, ensuite pour composer un cabinet qui fût l’expression de cette majorité, était obligée de réunir dans une même association des partis et des hommes politiques qui s’étaient souvent et avec éclat divisés et combattus. Il fallait par exemple que lord John Russell et lord Palmerston se missent d’accord entre eux, que sir James Graham et M. Sidney Herbert se réconciliassent avec lord John Russell et lord Palmerston, que les radicaux voulussent pardonner à lord Palmerston ses tendances anti-réformistes et sa dédaigneuse ironie. Ces hommes politiques et leurs partis s’étaient tour à tour et mutuellement renversés du pouvoir, et le souvenir de leurs luttes,