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La tranquillité et la paix de l’Europe dépendent de deux conditions : de la constitution intérieure des divers états et du concert qui règne entre ces états pour le règlement des questions internationales, pour la conduite des affaires extérieures. La première garantie de la paix européenne, c’est l’application du régime constitutionnel aux grandes nations qui peuvent influer sur l’équilibre général, c’est la diffusion et la pratique libérale des institutions représentatives. La théorie indiquait depuis longtemps que, lorsque les peuples sont associés à leurs propres gouvernemens., et que leur politique est soumise au contrôle constant des délibérations publiques, ils doivent avoir cette maturité de raison à laquelle songeait Pascal, et qui les détourne des aventures guerrières. L’expérience a pleinement confirmé aujourd’hui cette intuition de la théorie. Les trente-sept années de liberté parlementaire dont la France a joui ont été pour l’Europe trente-sept années de paix. Ce régime de liberté, et avec lui le règne de la paix internationale, se fût perpétué si les gouvernemens du continent n’eussent pas, par leurs sottes résistances à l’esprit de progrès, fourni un aliment et des chances à l’esprit de révolution. Si les gouvernemens se fussent partout prêtés aux réformes indispensables et au développement des institutions libérales, nous aurions conservé non-seulement la liberté, garantie de la dignité humaine, mais la paix, garantie du bien-être des peuples. Au contraire, et l’on commence à s’en apercevoir aujourd’hui, ces garanties ne subsistent plus lorsque l’action d’états puissans, au lieu d’être réglée par la délibération incessante et le contrôle défiant des représentations populaires, dépend de l’inspiration personnelle des souverains. La sagesse des souverains peut momentanément suppléer à ces garanties ; mais cette sagesse, toute l’histoire et les événemens d’hier nous l’apprennent, est une insuffisante sauvegarde, parce qu’elle n’est qu’un accident, et n’a pas la vertu régulière et constante d’une loi. Les amis les moins suspects de l’ordre de choses qui régit la France proclament que la guerre d’Italie a été entreprise contre le gré du pays : l’intention qui leur inspire cet aveu est irréprochable assurément, car ils veulent reporter à l’empereur tout l’honneur d’une entreprise dont le public n’avait pas prévu les avantages ; mais le fait, si on le dégage des circonstances exceptionnelles qui le justifient, serait loin d’être rassurant. Les écrivains auxquels nous faisons allusion ne s’aperçoivent-ils pas qu’un état de choses où il dépend du prince d’engager la force militaire d’un grand pays, malgré les répugnances fondées ou non de ce pays, n’est point précisément la plus solide garantie de la paix ?

Mais sur cette question des institutions libérales, nous ne l’ignorons pas, les avis sont encore partagés : tous les yeux ne sont pas encore ouverts, les événemens n’ont pas achevé l’éducation générale ; nous n’insisterons pas en ce moment. L’Europe elle-même, qui recueillait indirectement le bienfait des libertés françaises, refusait de les considérer comme un gage de sécurité. Il y avait une autre garantie de l’ordre européen qui, à ses yeux, avait plus de force. L’Europe ne forme point une confédération ayant une loi commune et reconnaissant un centre d’autorité : elle est composée de souverainetés indépendantes. La civilisation, et les relations internationales mettent pourtant en commun entre ces nations et ces souverainetés indépendantes tant d’intérêts et d’idées, que, pour prévenir les conflits qui peuvent