Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle de Flandre lui en fera répandre abondamment, et ce résultat sera dû non pas à la vigueur ou au mérite de cette peinture, mais tout simplement à la sensibilité de ce dévot. La peinture flamande semblera belle aux femmes, surtout aux âgées ou aux très jeunes, ainsi qu’aux moines, aux religieuses et à quelques nobles qui sont sourds à la véritable harmonie. En Flandre, on peint de préférence, pour tromper la vue extérieure, ou des objets qui vous charment ou des objets dont vous ne puissiez dire du mal, tels que des saints et des prophètes. D’ordinaire ce sont des chiffons, des masures, des champs très verts ombragés d’arbres, des rivières et des ponts, ce que l’on appelle paysages, et beaucoup de figures par-ci, par-là. Quoique cela fasse bon effet à certains yeux, en vérité il n’y a là ni raison, ni art, point de proportion, point de symétrie, nul soin dans le choix, nulle grandeur. Enfin cette peinture est sans corps et sans vigueur, et pourtant on peint plus mal ailleurs qu’en Flandre. Si je dis tant de mal de la peinture flamande, ce n’est pas qu’elle soit entièrement mauvaise; mais elle veut rendre avec perfection tant de choses, dont une seule suffirait pour son importance, qu’elle n’en fait aucune d’une manière satisfaisante. C’est seulement aux œuvres qui se font en Italie qu’on peut donner le nom de vraie peinture, et c’est pour cela que la bonne peinture est appelée italienne….. La bonne peinture est noble et dévote par elle-même, car chez les sages rien n’élève plus l’âme et ne la porte mieux à la dévotion que la difficulté de la perfection qui s’approche de Dieu et qui s’unit à lui : or la bonne peinture n’est qu’une copie de ses perfections, une ombre de son pinceau, enfin une musique, une mélodie, et il n’y a qu’une intelligence très vive qui en puisse sentir la difficulté ; c’est pourquoi elle est si rare que peu de gens y peuvent atteindre et savent la produire. »


Puis il reprend longuement cette idée que ce n’est qu’en Italie qu’il est possible de faire de la bonne peinture. Cela est si vrai, dit-il, « que si même Albert Dürer, homme délicat et habile dans sa manière, voulant me tromper moi, ou François de Hollande, essayait de contrefaire et d’imiter un ouvrage pour le faire paraître d’Italie, eh bien! il aurait produit une bonne, une médiocre ou une mauvaise peinture; mais je vous réponds que je connaîtrais bien vite que cet ouvrage n’est ni fait en Italie, ni fait par un Italien. » Vittoria prend à son tour la parole :


« — Quel homme vertueux et sage, dit-elle (à moins qu’il ne vive dans la sainteté), n’accordera toute sa vénération aux contemplations spirituelles et dévotes de la sainte peinture? Le temps manquerait, je crois, plutôt que la matière pour les louanges de cette vertu. Elle rappelle la gaieté chez le mélancolique, la connaissance de la misère humaine chez le dissipé et chez l’exalté; elle réveille la componction chez l’obstiné, guide le mondain à la pénitence, le contemplatif à la méditation, à la crainte ou au repentir. Elle nous représente les tourmens de l’enfer et, autant qu’il est possible, la gloire et la paix des bienheureux et l’incompréhensible image du Seigneur Dieu. Elle nous fait voir bien mieux que tout autre moyen la modestie des saints, la constance des martyrs, la pureté des vierges, la beauté des anges, l’amour et la charité dont brûlent les séraphins. Elle élève et transporte notre