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son indigne favori. Elle l’emporta, mais non sans peine. Pour les brouiller sans retour et aller plus droit à ses fins, un autre flatteur du prince entreprit de lui donner une maîtresse, et lui fit faire la connaissance d’une dame de la ville, jolie et peu cruelle, nommée Mme de Calvimont, chez laquelle Conti passa agréablement ses soirées et tint sa petite cour. Cette belle liaison dura jusqu’à la fin de la guerre de Guienne, et même un peu au-delà. Voilà mises à nu les misères que le silence affecté de La Rochefoucauld rendait si suspectes, et dont on pourrait détourner les yeux, si bientôt ces brouilleries n’eussent amené des divisions d’un caractère plus sérieux, qui méritent l’attention de l’histoire.

Dans l’intérieur du prince de Conti, à côté de Guilleragues et de Sarasin, était un personnage qu’il est temps d’introduire sur la scène, plus honnête à la fois et plus habile, et qui ne se pouvait contenter du triste rôle de complaisant du prince : nous voulons parler de l’abbé de Cosnac, aumônier de la maison. Comme il le dit lui-même dans ses mémoires récemment publiés[1], il était naturellement aussi porté à l’ambition qu’éloigné des intrigues d’amour. C’était un ecclésiastique gascon, très fin et très avisé, évitant le scandale, mais cherchant par-dessus tout à faire son chemin. Il se tint quelque temps prudemment dans l’ombre et attendit que son heure fût venue. Il ne favorisa ni les désordres du jeune prince, ni les déplorables querelles que le frère faisait à la sœur. Dans tout le cours de ses mémoires, il ne lui échappe pas le plus petit mot contre Mme de Longueville, dont l’inimitié de La Rochefoucauld eût pu faire son profit; il ne parle d’elle qu’avec un entier respect: seulement, au lieu de l’aider à ressaisir son influence sur le prince de Conti, il se réserva de le conduire lui-même, et il le conduisit peu à peu dans une route tout opposée à celle que suivait Mme de Longueville.

L’abbé de Cosnac reconnut aisément que la fronde était perdue, que, vaincue à Paris, elle penchait de plus en plus à Bordeaux vers sa ruine, et que pour sa fortune il n’avait rien à attendre de ce côté-là : il conçut donc la pensée de se relever auprès de la cour, de gagner ses bonnes grâces en lui ménageant la conquête d’un prince du sang, et cette entreprise une fois arrêtée dans son esprit, il y travailla avec une persévérance et une adresse merveilleuses. Il s’en ouvrit à l’un de ses amis, le marquis de Chouppes, entré avec son régiment au service des princes, et qui ne demandait pas mieux que d’en sortir, croyant avoir à se plaindre de Marsin. Cos-

  1. Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix, etc., 2 vol. in-8o, Paris 1852. C’est de ces mémoires que nous avons tiré ce qui précède sur Chémeraut et sur la liaison du prince de Conti avec Mme de Calvimont.