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VI.

Il nous reste à conduire la guerre de Guienne à son inévitable dénoûment, et à montrer la fronde se précipitant à sa perte par les mêmes chemins qu’elle avait déjà parcourus : d’une part, les violences de plus en plus extravagantes et criminelles de ses partisans aux abois, de l’autre l’indignation toujours croissante des honnêtes gens, ramenés au besoin de l’ordre par les excès de l’anarchie, leurs révoltes courageuses, et l’intrépide dévouement de quelques âmes d’élite.

On a vu avec quel enthousiasme le parlement de Bordeaux avait accueilli Condé à son arrivée en Guienne. C’est du sein de ce même parlement que partit le premier signal de l’opposition qui finit par renverser la domination des princes.

Le parlement, dans sa grande majorité, avait été d’avis d’accepter l’amnistie royale promulguée en octobre 1652[1]. Les princes ayant repoussé cette amnistie, dès lors les membres les plus autorisés s’étaient considérés comme dégagés envers eux, et n’avaient plus songé qu’à rentrer sous l’autorité légitime. Profitant de ces dispositions, le roi avait déclaré le parlement de Guienne transféré à Agen. Cette déclaration avait produit son effet : bien des officiers de la compagnie, obéissant à l’appel du roi, avaient successivement quitté Bordeaux, s’étaient rendus à Agen, et y avaient formé un parlement qui grossit chaque jour, et ouvrit sa première séance le 3 mars 1653. Il était à peine resté à Bordeaux assez de conseillers pour rendre la justice ordinaire : les uns, trop compromis pour espérer un pardon sincère et engagés sans retour dans la rébellion; les autres, qui aspiraient à en sortir, et n’étaient retenus que par un scrupule de fidélité envers Condé, plusieurs aussi dans la pensée qu’ils serviraient mieux le roi à Bordeaux qu’à Agen, en y tenant tête à ses ennemis.

Ceux-là souffraient impatiemment le joug de l’Ormée. L’un d’eux, nommé Massiot, entreprit de le secouer et de reconquérir l’hôtel de ville, dont les ormistes s’étaient emparés, et dans les premiers jours de décembre 1652, secondé par une partie de la bourgeoisie, il osa faire une grande démonstration qu’on eut bien de la peine à réprimer. Massiot fut pris, et conduit pour être jugé au palais du parlement à travers les flots d’une populace furieuse. Il entra fièrement dans le palais, et, se retournant vers la foule qui le suivait, il dit qu’il saurait bien se justifier, et qu’on ne lui en voulait que

  1. Voyez la livraison du 15 juin, p. 779.