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par la queue, on lui plaçait un paquet sur les épaules, et en route ! Il fallait bien qu’il suivît le mouvement. On se procurait ainsi des auxiliaires de bonne volonté.

Le 5 janvier 1858 seulement, après une semaine de repos, les commandans de l’expédition résolurent de pénétrer dans l’intérieur de Canton. Ce n’était pas une opération des plus simples que d’engager quelques centaines d’hommes dans les rues étroites et tortueuses de la ville bombardée, au milieu d’une population immense que l’on pouvait supposer hostile, et au risque de rencontrer la garnison tartare. Cependant on avait eu des renseignemens assez précis sur la situation des édifices occupés par les principaux fonctionnaires ; il semblait urgent de mettre la main sur ces mandarins intraitables et de trouver enfin à qui parler. Le gouverneur civil, Pi-kwei, fut le premier découvert : il était à déjeuner ; on le fit prisonnier sans difficulté aucune. Une autre colonne se dirigea vers l’édifice où l’on savait qu’était déposé l’argent du gouvernement. Le poste de garde ne s’attendait point à une pareille visite. Le capitaine tira son sabre et fit mine de résister ; il fut vite désarmé, et les Anglais se mirent en devoir de visiter les caisses. On s’attendait à les trouver à peu près vides, car depuis la fin du bombardement la sortie de la ville était demeurée libre, et rien n’empêchait les Chinois de faire transporter leur trésor en lieu sûr. Nullement ; les mandarins, dans leur béate confiance, avaient tout gardé, et l’on put saisir près de cent caisses d’argent en lingots, représentant une très forte somme, sans compter d’énormes quantités de monnaies de cuivre. La capture était belle, mais le plus difficile était de l’emporter au camp. La petite troupe anglaise n’était pas en nombre, et il fallait d’ailleurs qu’elle gardât ses armes. Une heureuse inspiration vint à l’esprit de l’un des officiers. « Mille sapèques[1], s’écria-t-il, à chaque coolie qui nous aidera à transporter l’argent au camp anglais ! » La foule était très nombreuse, et en un clin d’œil il se présenta un millier de portefaix qui se disputèrent les précieux fardeaux. On leur compta immédiatement les paquets de sapèques que chacun d’eux s’enroula autour du cou, et ils partirent en bon ordre au service de leurs généreux ennemis. Nouvel exemple du patriotisme chinois ! — Ce fut une colonne française qui prit possession du quartier-général du mandarin tartare ; elle n’éprouva pas la moindre résistance, et le Tartare fut emmené prisonnier sans coup férir. Où donc étaient ses fameuses troupes ? D’après un état trouvé dans le cabinet de Pi-kwei, il devait y avoir dans la ville sept mille soldats tartares. Qu’étaient-ils devenus ? On ne le sut jamais. Il est

  1. Le sapèque est une pièce de monnaie de cuivre. Mille sapèques valent environ cinq francs.