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de plus châtié; il n’en est pas qui dise ce qu’il faut dire avec plus de force, de clarté, de logique, de vivacité. Un ton général de réserve et de discrétion donne au livre beaucoup de charme et de noblesse. De tous les écrivains de notre temps, M. Guizot est peut-être le plus exempt d’une certaine coquetterie de mauvais goût, devenue fort commune depuis que les idées de dignité personnelle et de convenance se sont affaiblies; nul moins que lui ne s’est familiarisé avec le public, et n’a encouragé le public à se familiariser avec lui. Ce mérite, je le sais, est peu apprécié en France. La réserve, la timidité, le respect de soi et des autres, signes ordinaires des natures sérieuses et distinguées, paraissent chez nous de la fierté. J’ai entendu des personnes traiter comme un défaut cette froideur digne et sévère de M. Guizot, et regretter qu’il ne cherche pas davantage à se faire aimer. Pour moi, je l’en félicite : d’ordinaire on ne se fait aimer de la foule que par ses petits côtés ou ses travers. L’homme d’état a des confessions, non des confidences à faire; ceux que leurs devoirs mettent en rapport avec le public ne doivent se montrer à lui que comme des abstractions.


I.

Laissons de côté ces précautions vulgaires auxquelles il faut bien avoir recours quand on veut parler, sans le blesser, de l’esprit médiocre qui se croit impeccable. A la hauteur où s’est placé M. Guizot, l’éloge et le blâme perdent toute signification personnelle, puisque l’homme arrivé à représenter une des grandes causes qui se partagent le monde n’est coupable que de la loi fatale qui condamne chaque théorie à n’être qu’à moitié légitime. La critique n’est jamais plus à l’aise qu’avec ceux que la gloire a ainsi consacrés, et dont la seule faute est de n’avoir pas résolu le problème insoluble que l’humanité offrira éternellement à ceux qui voudront la comprendre ou la gouverner. Il est aussi superficiel de reprocher aux hommes d’état les défauts ou la caducité de leur œuvre, qu’il le serait de reprocher à Leibniz ou à Hegel de n’avoir pas dit le dernier mot sur l’homme, le monde et Dieu. Chaque système philosophique et politique est un grand parti-pris, qu’il faut juger, non comme représentant ou ne représentant pas la vérité et le droit absolus, mais comme tenant une place plus ou moins élevée dans l’ordre moral. Tout ce qui est grand est légitime à sa manière; la médiocrité seule n’a pas de place dans le royaume de Dieu. Il est temps de renoncer à cette critique presque toujours mesquine qui, croyant posséder la règle du vrai, reproche aux hommes de génie de n’avoir pas réalisé ce que, depuis l’origine de la pensée humaine, des mil-