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plus regrettable, c’est qu’au lieu de lutter contre le gouvernement par les armes légales, comme ils en avaient le droit, les mécontens cherchaient par des conspirations à renverser l’ordre établi. Ces attaques contre le principe du gouvernement amenèrent le gouvernement de son côté à commettre une faute grave. Il confondit la répression des actes séditieux, qui n’a en soi rien d’illibéral, avec les lois destructives de la liberté, toujours funestes et injustes, puisqu’elles n’atteignent guère les vrais coupables, et que, pour prévenir la faute de quelques-uns, elles portent atteinte aux droits de tous.

Cette disposition acariâtre de la nation fut, il faut l’avouer, la cause de plusieurs des fautes dont on a fait peser la responsabilité sur le gouvernement de la restauration. Le peu de capacité de quelques-uns des hommes qu’elle mit à la tête des affaires ne fut un mal que par suite de l’esprit administratif de la France, et parce qu’on s’est habitué dans notre pays à demander aux gouvernemens plus qu’ils ne peuvent donner. Je ne verrais pour ma part aucun inconvénient à ce que les positions élevées de l’état fussent occupées par des gentilshommes bien élevés et assez superficiels, mais à une condition, c’est qu’ils ne s’occupent de leurs fonctions que d’une manière sommaire. S’il se laisse simplement guider par son instinct général d’homme du monde, le gentilhomme attentera moins à la liberté que l’administrateur de profession ou le parvenu; mais il est clair que si le gentilhomme descend à de mesquines tracasseries et veut imposer ses préjugés à tous, il reste fort au-dessous de l’administrateur, qui, à côté de ses petitesses, a du moins de l’aptitude et du sérieux. Ni le gouvernement ni l’opinion ne comprirent ces nuances. Les libéraux partaient de l’idée fort répandue en France que les places sont dues au mérite, et que l’homme de talent a une sorte de droit naturel à être fonctionnaire de son pays, tandis qu’en réalité l’homme de talent n’a qu’un droit (et ce droit lui est commun avec tous) : c’est de se développer librement, c’est-à-dire de ne pas trouver dans le gouvernement un rival jaloux qui l’opprime ou lui fasse une concurrence déloyale. Le gouvernement, d’un autre côté, avait la folle prétention de former les esprits à son image. Pourquoi l’inoffensif Charles X, qui, il y a trois ou quatre siècles, eût été ce qu’on appelait un bon roi, devint-il si impopulaire? Pourquoi ses petits défauts, sa dévotion étroite, sa frivolité, son goût un peu puéril de l’étiquette, sa tendance à s’entourer d’esprits légers, devinrent-ils des malheurs publics? Hélas! c’est qu’on lui demandait d’accomplir une tâche supérieure aux forces d’un homme de génie, je veux dire d’administrer trente millions de citoyens pour leur plus grand bien. M. de Polignac était assurément