Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais si la résistance était légitime, jusqu’à quel point convenait-il de la pousser? Au fond, la situation n’était pas aussi nouvelle qu’on le croit d’ordinaire. « Plus d’une fois, dit admirablement M. Guizot, les nations ont eu à lutter, non-seulement par les lois, mais par la force, pour maintenir ou recouvrer leurs droits. En Allemagne, en Espagne, en Angleterre, avant le règne de Charles Ier, en France jusque dans le XVIIe siècle, les corps politiques et le peuple ont souvent résisté au roi, même par les armes, sans se croire en nécessité ni en droit de changer la dynastie de leurs princes ou la forme de leur gouvernement. La résistance, l’insurrection même avaient, soit dans l’état social, soit dans la conscience et le bon sens des hommes, leur frein et leurs limites; on ne jouait pas à tout propos le sort de la société tout entière. Aujourd’hui et parmi nous, de toutes les grandes luttes politiques on fait des questions de vie et de mort; peuples et partis, dans leurs aveugles emportemens, se précipitent tout à coup aux dernières extrémités; la résistance se transforme soudain en insurrection et l’insurrection en révolution. Tout orage devient déluge. »

En d’autres termes, la lutte devait être une résistance, non une révolution. Certes il est difficile à distance de tracer des bornes à ces hardis élans d’un peuple à qui le pouvoir a donné lui-même, en violant la loi, le signal de l’anarchie; mais l’arbitraire des révolutions est aussi fatal que celui des rois, les actes du peuple soulevé comme ceux des gouvernemens doivent être soumis à un sévère examen. Le premier moment où il semble que la résistance aurait dû s’arrêter fut celui où M. de Sussy, le 30 juillet, porta de Saint-Cloud à la chambre le retrait des ordonnances et la composition d’un nouveau cabinet. Plusieurs fois les Anglais ont ainsi admis à résipiscence leurs rois délinquans, et s’en sont bien trouvés. J’ai voulu me rendre compte de ce qui se passa à cette heure décisive. Malheureusement les procès-verbaux de la réunion sont fort incomplets et n’ont pas de caractère officiel. Ils laissent voir que la défiance de la chambre pour ces concessions reposait sur des motifs fort graves. Le récit de M. Guizot[1], confirmé par divers témoignages, montre aussi que le roi, en retirant son imprudente provocation, n’agissait pas avec une parfaite droiture. Il est donc difficile de blâmer les précautions que prit la chambre en cette circonstance. Un roi qui recule dans un coup d’état qu’il a tenté doit subir la peine des rois, qui est l’abdication. Le roi, en rompant le pacte fondamental, avait remis la décision de la question à la force : il avait lancé ses soldats dans la rue; c’était un duel où le vainqueur restait maître de pous-

  1. Tome II, p. 8-9.