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que ce qu’il croit être! Je ne méconnais pas les réserves imposées au théoricien quand il s’agit d’un temps où, par la faute des gouvernans et des gouvernés, la révolution a semblé déjouer à plaisir les solutions les mieux concertées. Il ne s’agit ici que de regrets, et certes un tel sentiment est bien permis en présence du divorce fatal qui a fait du droit une utopie et a réduit les sages eux-mêmes à vivre d’expédiens. La responsabilité de cette fatale alternative doit peser avant tout sur la royauté qui l’avait amenée. L’opposition libérale, d’un autre côté, en méconnaissant quelques-unes des conditions de la royauté moderne, ne faisait guère que recueillir le fruit de ses fautes. Elle renfermait dans son sein des élémens fort divers, de vieux militaires incapables d’idées politiques, des sectaires, des badauds. Le peuple, à la courageuse intervention duquel on avait dû avoir recours, était bien incapable de ce degré d’abnégation raffinée qui fait préférer au philosophe le droit abstrait, même quand il a les plus fâcheuses conséquences, à la révolution qui accomplit sur-le-champ ses désirs. La moyenne de l’opinion était trop superficielle pour sacrifier à des vérités métaphysiques le bien palpable du moment, et pour résister à l’empressement, en apparence si légitime, de faire ce qu’on croit le meilleur. Que de leçons il faut pour qu’un pays arrive à comprendre que les principes abstraits sont seuls à longue portée, et que sans eux les combinaisons les plus ingénieuses ne sont au fond qu’aventure et que hasard! s

On voit tout d’abord les graves conséquences que la dérogation aux lois d’hérédité commise par la révolution de juillet fit peser sur la dynastie qui sortit de cette révolution. Le roi Louis-Philippe, malgré ses rares qualités, son admirable bon sens, sa haute et philosophique humanité, eut constamment à lutter contre la position délicate que lui créaient ses origines. Flottant entre le roi élu et le roi légitime, il se vit entraîné à des démarches indécises, dont sa dignité souffrit. Je ne dirai pas qu’il manqua à ses promesses : il n’en avait pas fait; mais on peut dire que la situation les avait faites pour lui. Il est certain qu’il se prêta d’abord à l’idée d’une origine toute populaire; il vit bien ensuite la contradiction radicale impliquée dans l’idée d’un roi élu, et il se rattacha à une autre théorie. Il y avait là cependant une infidélité réelle au principe qui l’avait fait roi. Fonder une dynastie, c’est abstraire une famille du sein de la nation pour l’opposer à la nation comme une force indépendante, mais limitée. Le prince éclairé et habile que les accidens de nos révolutions bien plus que son propre choix avaient chargé d’une si lourde tâche ne sortit jamais de ce dilemme fatal : faible quand il était fidèle à ses origines, blessant quand il ne l’était pas, il se lais-