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de résistance à l’opinion, que M. Guizot semble donner par momens comme l’abrégé de sa politique, il y a loin. Un gouvernement ne doit ni résister systématiquement à l’opinion ni la suivre aveuglément; il doit protéger les droits et la liberté de tous. Je ne comprends pas que l’on consente à s’appeler parti du mouvement ou parti de la résistance; ces deux mots doivent être écartés. Parlez-nous de droits et de liberté, et il n’y aura plus d’équivoque, car devant ces mots-là les mots de résistance et de révolution disparaissent, ou du moins perdent leur sens odieux ou subversif.

Certes il est des cas où le gouvernement a le droit et parfois le devoir de résister à l’opinion, même quand il n’est pas douteux que cette opinion représente la majorité. C’est bien l’opinion qui, durant un siècle et demi, a poussé le gouvernement à tant d’actes d’une intolérance tantôt perfide, tantôt cruelle, contre la religion réformée. Le gouvernement qui révoqua l’édit de Nantes et ordonna les dragonnades n’en fut pas pour cela moins coupable. La recherche de la popularité est la marque du souverain ou de l’homme d’état de second ordre. Un prince accompli, remplissant ses devoirs avec discrétion, froideur, réserve, n’empiétant sur la liberté de personne, ne cherchant à se faire aimer que dans son intimité, ne se servant pas de sa position pour se faire des obligés personnels, un tel prince, dis-je, ne serait pas populaire. Il ne faut pas néanmoins que, pour se soustraire à la tyrannie de l’opinion, l’homme d’état se croie obligé de ne lui rien céder. Je sais quel charme austère il y a pour les fortes natures à braver la médiocrité impuissante et à s’attirer la haine des sots. L’antipathie des esprits superficiels étant une marque sûre pour discerner les sages, les âmes fières croient voir dans l’impopularité une contre-épreuve de leur valeur morale. M. Guizot a trop savouré cette délicieuse volupté, contre laquelle la plus haute philosophie ne met pas toujours en garde. Il s’est trop laissé aller à cette joie dangereuse qu’on éprouve à faire sentir son dédain. L’opinion est une reine à sa manière, mais non une reine absolue; il faut lui résister, quand on croit le devoir faire, mais en la respectant, et en prenant en elle-même le point d’appui nécessaire pour l’attaquer.

En somme, le gouvernement n’est ni une machine de résistance ni une machine de progrès. C’est une puissance neutre, chargée, comme les podestats des villes d’Italie, de maintenir la liberté de la lutte, non de peser dans la balance pour l’un des partis. Quand l’opinion force le gouvernement à agir dans le sens qu’elle désire, elle commet une injustice, car elle force un pouvoir qui devait jouer le rôle d’arbitre et de conciliateur à favoriser une direction exclusive; elle écrase son adversaire en invoquant contre lui un auxi-