Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pagande et de la résistance seront permises à tous. Ouvrez sur tous les points du volcan social des foyers partiels, et vous éviterez ces explosions qui ébranlent le monde. L’attente est insupportable pour la minorité opprimée qui ne voit devant elle aucune espérance; elle est presque douce, quand on peut se croire sûr de triompher à son jour par la force de l’opinion. Tout est venin sans la liberté; l’ordre même n’est, sans elle, qu’un mensonge. Dix-sept ans après la fermeture du dernier des clubs sorti de la révolution de juillet, un misérable enfantillage, un dîner qu’il aurait dû être permis de faire à la seule condition de ne pas gêner la voie publique, suffit pour anéantir le fruit de tant de nobles travaux, et pour ouvrir un abîme dont nous sommes loin encore d’avoir entrevu la profondeur.

Ainsi on combattait la révolution par les moyens révolutionnaires par excellence. On était violent pour l’ordre, séditieux dans la modération. On fortifiait le principe d’où sont sorties toutes les perturbations des temps modernes, cette défiance de la liberté qui porte les gouvernemens à regarder ce qui se fait en dehors d’eux comme fait contre eux, à fermer les voies du prosélytisme régulier, à s’attribuer la régie de l’opinion. Que peut faire, dans un tel état politique, l’homme dévoué avec quelque énergie à la doctrine, vraie ou fausse, qu’il a embrassée? Une seule chose : chercher par tous les moyens à devenir le maître du gouvernement, pour faire prévaloir par la force l’idée qu’il n’a pu servir par les voies pacifiques de la discussion. Tout devient de la sorte une question d’état. La plus humble ambition est obligée de revêtir une forme politique. Une machine d’une effrayante puissance, et auprès de laquelle les efforts individuels ne sont qu’un atome, a été créée: tout ambitieux (et chaque homme en un sens doit l’être), au lieu de combattre pour son opinion avec ses forces isolées, cherchera nécessairement à s’emparer du redoutable levier avec lequel le premier venu soulève le monde. Saint Paul, de nos jours, devrait songer à être consul ou tribun; Luther et Calvin seraient obligés de devenir conspirateurs.

Toutes les critiques qu’on est en droit d’adresser à ceux qui dirigèrent dans les premières années le gouvernement issu de la révolution de juillet se résument de la sorte en un mot : ils aimaient la liberté, mais ils n’en comprenaient pas bien les conditions. La révolution et l’empire, qui n’avaient pu créer aucune institution politique, avaient créé en revanche une administration singulièrement étendue et compliquée. La restauration conserva dans son ensemble l’administration impériale, en la tempérant par un système d’égards et de considérations personnelles qui valait mieux que l’égalité dans la sujétion, mais qui ne profita guère qu’à la noblesse. Ces limites furent regardées par les libéraux comme des abus, et la révolution