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Les méandres et les deltas sont très nombreux sur le cours entier du Mississipi, mais nulle part ils ne se suivent avec une régularité plus constante que dans la partie inférieure du cours moyen. En certains endroits même, le vaste circuit que fait le Mississipi dans la plaine d’alluvions lui donne la forme d’un grand lac annulaire dont l’île centrale ne serait rattachée au continent que par une étroite langue de sable. Souvent, après un long détour de plusieurs lieues en suivant le fil du courant, les embarcations se retrouvent à une faible distance et en vue du point qu’elles ont quitté plusieurs heures auparavant. Ainsi le détour de Terrapin, en amont de Vicksburg, a 25 kilomètres de développement, tandis que l’isthme qui sépare les deux anses est large de 500 mètres tout au plus. Le détour de Palmyre est encore plus remarquable, puisque la largeur de l’isthme est de 400 mètres seulement, tandis que le circuit total du fleuve a 33 kilomètres de long. Cependant tout grand cours d’eau, obéissant à la force de pesanteur, tend à s’écouler vers l’Océan par la pente la plus rapide, et l’on peut se demander pourquoi le Mississipi, dont le courant est si fort et la masse liquide si prodigieuse, ne se creuse pas un lit parfaitement rectiligne depuis sa source jusqu’à son embouchure. En effet, si aucune circonstance particulière ne contrariait l’œuvre du Mississipi, il est évident qu’il se ferait un canal en ligne droite, afin d’atteindre son maximum de pente; mais il suffit d’un obstacle placé en travers du courant ou d’une impulsion latérale quelconque imprimée à la masse liquide pour faire dévier le fleuve à droite ou à gauche. La première déviation une fois obtenue et la première anse formée, le cours d’eau est forcément rejeté de détour en détour, et descend vers la mer par une succession de méandres égaux, car la loi de la réciprocité des anses n’est autre que la loi du pendule. Si la différence des terrains et la grande variété des couches n’y mettaient obstacle, un cours d’eau qui recevrait à son origine une impulsion latérale quelconque décrirait jusqu’à son embouchure une longue suite de courbes géométriquement égales; mais les couches de la rive sont diversement solubles et friables, de sorte que les anses s’arrondissent très inégalement. Quand la force du courant vient frapper le sommet d’une anse, l’eau déchire le terrain, délaie et dissout les particules solubles, entraîne le sable et le gravier; mais en même temps elle se brise contre l’obstacle qu’elle affouille et rejaillit en sens inverse sur le bord opposé, où elle déchire et fouille encore pour être de nouveau rejetée sur l’autre rive, où elle recommence ses travaux d’excavation. Tandis que le courant affouille alternativement chaque bord, les alluvions se déposent dans les parties les plus tranquilles et les moins profondes, c’est-à-dire à l’extrémité des pointes que la masse du courant évite par un long circuit. Ainsi un double