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Sicile, qui fut donnée à l’empereur Charles VI, et la Sardaigne, qui fut donnée au duc de Savoie en échange de la Sicile. Enfin Philippe V accepta pour son fils don Carlos l’investiture de la Toscane et de Parme et Plaisance. La maison de Bourbon rentra ainsi en Italie pour faire contre-poids à la maison d’Autriche, et le traité de quadruple alliance, dans le soin qu’il prend d’assurer l’équilibre italien, va jusqu’à dire (art. 3) : « Il a été stipulé que jamais, ni en aucun cas, l’empereur, ni aucun prince de la maison d’Autriche qui possédera des royaumes, provinces et états d’Italie, ne pourra s’approprier les états de Toscane et de Parme. »

L’intention des traités de triple et quadruple alliance, ou plutôt la politique de l’alliance entre la France et l’Angleterre est, je crois, manifeste : confirmer le traité d’Utrecht pour maintenir la paix en Europe, corriger le traité d’Utrecht en Italie pour y restreindre la prépondérance de l’Autriche, en substituant à deux dynasties italiennes qui s’éteignent, celle de Médicis et celle de Farnèse, une dynastie qui devient aussitôt italienne, qui ne pourra pas redevenir espagnole, et qui fera contre-poids à la maison d’Autriche.

Qu’on ne croie pas que cette idée de l’équilibre italien soit une idée d’aujourd’hui que j’introduis à plaisir dans l’interprétation du traité de quadruple alliance : l’équilibre italien fut une des questions débattues dans les négociations de ce traité. L’Espagne, qui avait conquis la Sicile sur le duc de Savoie, et à qui on demandait de la rendre à l’empereur en échange de la Sardaigne, qu’il céderait au duc de Savoie, l’Espagne se refusait à cette combinaison, qui, donnant la Sicile à l’empereur, maître aussi en ce moment du royaume de Naples, le rendait plus puissant que jamais en Italie, et détruisait de fond en comble l’équilibre italien. Le manifeste français essaie de réfuter cette objection, qui est grave. Il ne fait pas fi de l’équilibre italien; il essaie de montrer que le traité le met ailleurs. « Tantôt, dit-il, parlant des objections de l’Espagne[1], c’était le prétexte d’un équilibre absolument nécessaire en Italie, et qu’on allait renverser en ajoutant la Sicile aux autres états que l’empereur y possède; mais le désir d’un équilibre plus parfait méritait-il qu’on replongeât les peuples dans les horreurs d’une guerre dont ils ont tant de peine à se remettre? Cet équilibre même, qu’on regrette en apparence, n’est-il pas assuré suffisamment, et plus parfaitement peut-être que si la Sicile était demeurée dans la maison de Savoie? L’établissement d’un prince de la maison d’Espagne au

  1. J’ai oublié, jusqu’ici de dire que ce manifeste de 1719 fut rédigé par Fontenelle et par Lamothe-Houdard sur les notes de l’abbé Dubois : nouveau témoignage de l’intervention immémoriale de la littérature dans la politique, ou, si vous le voulez, signe du nouvel esprit, de l’esprit du XVIIIe siècle, et de l’ascendant que la littérature est en train de prendre dans la société.