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de la théodicée de Platon, qui plus tard a tracé l’histoire critique de la doctrine la plus hardiment métaphysique que se soit permise la raison en liberté, et qui n’a reculé devant aucune des abstractions mystérieuses de l’alexandrinisme, a depuis quelques années consacré toutes les forces d’un talent éprouvé et développé par un brillant et solide enseignement à populariser en quelque sorte la science sans la dégrader ni l’amoindrir, à la faire descendre sur la terre suivant le conseil du maître, à prouver qu’elle seule peut donner de fuites et durables bases à toutes les grandes choses de l’ordre moral. S’il existe dans les sociétés humaines une croyance universelle et nécessaire, c’est assurément l’idée d’une distinction ineffaçable entre le mal et le bien. Qu’il y ait des bons et des méchans, qu’il y ait des actions honnêtes et de mauvaises actions, c’est ce que l’insolence des sophistes renonce à nier; or, précisément parce que la morale a son fondement dans l’absolu, elle est du ressort de la philosophie. C’est l’effet inévitable du spectacle corrupteur des triomphes de la force que d’affaiblir et d’altérer les notions augustes sur lesquelles repose toute vertu. Quand la civilisation a déjà affaibli les caractères, les révolutions viennent qui bouleversent les esprits. C’est l’heure où la philosophie ne peut mieux faire que de rendre à l’intelligence et à la volonté la lumière et la force, que de rappeler l’homme à cette loi suprême de sa nature et de sa destinée, — et M. Simon a écrit son livre du Devoir ; mais le devoir lui-même serait une étrange chose, s’il était le produit spontané de la nature humaine, une simple et viagère condition d’existence de l’activité sociale, une gratuite hypothèse éphémère comme la vie. Il est impossible de ne lui pas assigner une origine supérieure à ce monde, de ne pas le dériver d’une source éternelle. La justice sur la terre atteste une justice ailleurs que sur la terre; la morale suppose une théodicée. La théodicée est le fond de la religion; la religion, c’est la théodicée qui de la raison passe dans le cœur, et devient sentiment et volonté. Puisque la religion est un fait universel, c’est un fait naturel. Il y a donc, comme le veut saint Augustin, une religion naturelle. Que la religion naturelle soit considérée comme doctrine ou comme règle, elle échappe moins encore que la morale à l’influence dangereuse de nos préjugés et de nos faiblesses, sans parler de torts plus graves encore que la faiblesse et le préjugé. Le dérèglement des passions fatiguées du frein, l’abus scandaleux que la perversité et l’imposture triomphantes osent faire des croyances et des institutions traditionnelles n’ont que trop de pente à faire descendre une religion nationale au rang d’un instrument de police, et à couvrir d’un nuage odieux les vérités pures et saintes dont elle ne devrait être que l’expression révérée. L’affaiblissement