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coûte. Il est dur d’avoir à chercher pour soi-même les excuses que Tacite trouvait pour Agricola.

Mais il faut arriver à plus de précision. Lorsque de l’amour de la liberté on veut faire, non plus une simple direction morale dans l’appréciation des choses de l’histoire, mais un principe d’action dans les affaires de la politique, il devient impossible de se contenter d’une expression indéterminée, d’un nom sans définition, et de se passer d’une notion précise et propre à se plier à toutes les réalités. D’une part, la notion de la liberté doit se conformer au progrès des lumières générales sur les questions qui s’y rapportent; elle dépend en un mot de l’état de la science. De l’autre, elle doit, pour être réalisable, être appropriée, surtout par les moyens et les garanties que l’on combine pour la réaliser, aux idées, aux mœurs, aux besoins, à toute la situation morale et matérielle de la nation à laquelle elle peut appartenir. On conçoit, par exemple, que la liberté a besoin de plus fortes garanties chez une nation guerrière que chez une nation qui ne l’est pas, et qu’elle peut prendre d’autres formes chez un peuple commerçant que chez un peuple agricole; mais, avant de toucher d’aussi près aux réalités particulières, reconnaissons que, même envisagée d’une manière générale, la liberté est double: elle se résout dans celle de l’individu et dans celle de l’état. C’est à peu près la distinction vulgaire de la liberté civile et de la liberté politique. La première des deux est certainement la plus précieuse; elle est un but, tandis que l’autre n’est, ou peu s’en faut, qu’un moyen. Quoique la société soit une chose naturelle et que l’état paraisse presque aussitôt que la société, il est évident que l’existence de l’état est plus artificielle que celle de l’individu; on a pu même regarder l’état comme un être de convention, ce qui n’est faux que si l’on prend à la lettre le mot de convention. L’homme est donné de plus haut pour ainsi dire; il n’est pour rien dans l’existence de ses devoirs et de ses droits; ce n’est pas lui qui les a faits. Tout au plus peut-il quelque chose pour les connaître, les établir et en assurer le maintien. Or il y a une liberté, l’origine et la raison de toutes les autres, qui lui a été accordée avec la vie. Elle a été soufflée primitivement sur sa face comme tout ce qui le fait à l’image de Dieu. Le don de la raison et de la volonté ne serait que dérision cruelle, si la jonction de l’une et de l’autre n’était possible dans le libre arbitre, si l’exécution de ce que l’une et l’autre ont résolu n’était assurée par la liberté d’agir. De ces deux conditions dépendent la valeur de l’homme et son bonheur. L’effort, l’action, le travail n’ont tout leur prix que par la liberté; c’est déjà bien assez que la limitation des facultés et des forces humaines, la défaillance ou la perversion de notre faculté de choisir, que