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ne pas en user; mais il refusait nettement de le sacrifier en principe : sur tous les autres points en litige, il était d’ailleurs disposé aux plus larges concessions. En dépit de leurs instructions, les deux agens américains jugèrent qu’il serait insensé de perdre le bénéfice de ces dispositions bienveillantes en s’acharnant à régler la question de la presse. Ils consentirent donc à la passer sous silence dans la convention qu’ils négociaient, et ils signèrent un traité qui, tout en prenant pour base celui de M. Jay, était à bien des égards encore plus avantageux pour les États-Unis. Jefferson refusa de le ratifier. Sur ces entrefaites, les amis de M. Pitt reprirent le pouvoir en Angleterre, et l’excellente occasion qu’avait eue le président de rétablir des relations amicales entre les deux pays fut perdue sans retour. De part et d’autre, les ménagemens cessèrent, le mauvais vouloir s’accrut, la mauvaise foi devint apparente. Un matelot américain se trouvait-il à la convenance d’un croiseur anglais, il était aussitôt regardé et saisi comme déserteur. Un déserteur anglais se réfugiait-il aux États-Unis, il était aussitôt converti en citoyen américain. Les gouvernemens locaux lui accordaient des lettres de naturalisation ou de faux certificats d’origine; les agens du gouvernement central l’admettaient avec affectation dans la marine militaire, et lorsque ses anciens officiers descendaient à terre, il pouvait se donner le plaisir de les narguer sous la protection de son nouvel uniforme. Les déserteurs enrôlés à bord de la frégate des États-Unis la Chesapeake, alors en armement à Washington, avaient en particulier donné lieu à des plaintes graves de la part du commandant de l’escadre anglaise mouillée sur les côtes de la Virginie. Il y avait dans les deux marines une vive irritation qui devait faire craindre quelque violent éclat; mais le gouvernement américain conservait au milieu même de ses bravades de telles habitudes de laisser-aller, qu’il ne prévit point le conflit et ne fit rien pour en sortir à son honneur.

Le 22 juin 1807, la Chesapeake, sous les ordres du commodore Barron, quittait le mouillage de Hampton-Roads pour aller remplacer dans la Méditerranée la frégate la Constitution. La plus imprévoyante sécurité et le plus grand désordre régnaient à bord. L’équipage était novice, les ponts encombrés, les pièces en mauvais état, les munitions insuffisantes. Rien n’était prêt pour un combat lorsque, à sept ou huit milles de la côte, la frégate américaine fut rencontrée par le vaisseau britannique le Léopard. Le commandant anglais, le capitaine Humphries, fit savoir au commodore Barron qu’il avait reçu de l’amiral Berkeley l’ordre de visiter la Chesapeake pour rechercher les déserteurs enrôlés à bord de ce navire. Rien n’était plus contraire aux usages des nations civilisées que cette singulière prétention. Les légistes anglais eux-mêmes n’avaient ja-