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l’influence autrichienne l’objet de la politique impériale en Italie ; mais il était plus facile de venir à bout de l’influence autrichienne que d’obtenir des réformes du gouvernement pontifical. Pour vaincre et refouler l’Autriche, la force suffisait : contre les préjugés de la cour de Rome, la force est impuissante ; l’on ne peut rien obtenir du pape que par la persuasion. Ou nous nous trompons fort, ou le désir et le besoin d’une prompte paix, après une si brillante campagne, sont nés pour l’empereur Napoléon de cet embarras. La prolongation de la guerre eût irrité et peut-être porté à des extrémités plus graves encore la crise des États-Romains. La résistance du pape aux conseils de la France eût redoublé par cela même. La paix au contraire avait l’avantage de faire cesser cette situation violente, qui compromettait l’amélioration administrative et politique des États-Romains. Ce n’est pas tout : offerte à l’Autriche dans des conditions libérales, elle liait à nous cette puissance par un service éminent. Le plus faible gage de reconnaissance que nous pussions demander à l’Autriche pour un tel service, c’est sa coopération cordiale auprès de la cour de Rome. Nous croyons donc que ce concours sincère et actif de l’Autriche doit être en quelque sorte la condition sous-entendue de la paix, dont les difficultés romaines ont été la principale cause. Nous croyons que si l’intérêt de l’affranchissement du territoire italien a un peu souffert dans le traité de Villafranca, c’est que l’on a voulu assurer la solution de la question romaine par la persuasion et par le concours de l’Autriche. Notre hypothèse est-elle chimérique ? C’est possible, mais l’on nous accordera qu’elle est impartiale. Dans tous les cas, nous ne pourrions regarder la question italienne comme terminée, si le pape ne récompensait point par d’importantes concessions la sollicitude que l’on vient de montrer pour ses intérêts.

Que l’on compare maintenant les bases de paix convenues dans l’entrevue de Villafranca avec ce qui paraissait être l’objet de la guerre. En Italie, en France et en Europe, un grand nombre de personnes, interprétant un passage souvent cité du manifeste impérial du 3 mai, avaient pensé que nous ne poserions pas les armes avant d’avoir rendu libre l’Italie jusqu’à l’Adriatique. À notre avis, l’on prêtait à cet égard aux paroles de l’empereur une signification trop absolue. L’on ne faisait pas attention que la liberté jusqu’à l’Adriatique n’était que l’un des termes d’une antithèse, dont l’autre terme était la domination de l’Autriche jusqu’aux Alpes. « Le Piémont, disait l’empereur, ayant accepté les conditions qui devaient assurer la paix, on se demande quelle peut être la raison de cette invasion soudaine (l’invasion du Piémont par l’armée autrichienne, dont la suite de la guerre n’a point en effet expliqué la raison). C’est, ajoutait l’empereur, que l’Autriche a amené les choses à cette extrémité, qu’il faut qu’elle domine jusqu’aux Alpes, ou que l’Italie soit libre jusqu’à l’Adriatique, car dans ce pays tout coin de terre demeuré indépendant est un danger pour son pouvoir. » L’on voit que la liberté de l’Italie jusqu’à l’Adriatique était opposée à la prétention de l’Autriche de dominer l’Italie jusqu’aux Alpes. L’Autriche est à coup sûr bien revenue de cette prétention, puisqu’elle abandonne la Lombardie, et dès lors l’empereur n’a plus dû se croire tenu de réaliser l’hypothèse qui avait tant miroité dans sa proclamation.