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dédaignée ? L’Autriche, qui a tant à faire chez elle et en Allemagne pour satisfaire les populations qu’elle gouverne et développer les ressources de ses immenses territoires, essaiera probablement, elle aussi, de se rajeunir en se régénérant. Elle pourra compter sans doute, comme la Russie, sur la bienveillance de la politique française. Déjà cependant les alarmistes essaient de donner le change sur les sentimens généreux que la France témoigne à ses ennemis vaincus, et veulent y voir le présage de nouvelles luttes avec des ennemis nouveaux. La France est ainsi faite qu’elle est ordinairement froide envers ses alliés et pleine d’empressement envers ses ennemis d’hier, devenus ses meilleurs amis d’aujourd’hui. C’est un trait du caractère national, c’est le déjeuner cordial après le duel. C’est peut-être un travers, une légèreté, mais ce serait une duperie que de voir là une sournoise machination par laquelle nous chercherions à recruter sans cesse de nouveaux alliés contre ceux que nous nous réserverions d’attaquer plus tard. Le jeu, si c’en était un, serait trop naïf, et finirait par devenir dangereux. D’abord nous ne faisons que des guerres désintéressées : l’Europe en a eu deux fois la preuve. Ces guerres ont été glorieuses, mais elles ont été coûteuses aussi. L’on a dit, dans un temps où le gouvernement parlementaire nous rendait pacifiques et économes, que la France est assez riche pour payer sa gloire. Nous paierons en effet cent millions par an la gloire de nos guerres de Crimée et d’Italie, cent millions avec lesquels nous aurions pu dégrever nos impôts, c’est-à-dire donner à meilleur marché au peuple sa nourriture et ses vêtemens. La France a dépensé assez pour ce noble luxe de la gloire; à l’avenir, elle regardera certainement de plus près à ce que la guerre coûte et à ce qu’elle rapporte, et nous croyons que l’Europe peut être tranquille.

L’Allemagne par exemple, qui s’était tant irritée contre nous, doit voir aujourd’hui le peu de fondement de ses craintes. Nous nous apprêtons, disent les défians, à quelque entreprise du côté de l’Allemagne, où nous serons aidés par l’Autriche. Nous ne voyons pas, quant à nous, qu’un prétexte quelconque puisse s’offrir à la France d’intervenir dans les affaires allemandes, et au surplus il est bien certain qu’aucun intérêt ne nous y sollicite. Si la constitution actuelle de l’Allemagne n’existait point et s’il était donné à la France d’organiser à sa volonté ce grand pays, nous sommes convaincus que la France ne pourrait pas y établir une combinaison plus favorable à ses intérêts que le système qui régit présentement la confédération germanique. Nous avons mis deux fois à l’épreuve ce système, dans la guerre d’Orient et dans la guerre d’Italie. Dans ces deux guerres, les tendances de la confédération, telles que les trahissaient les clameurs des petits états et les incertitudes de la Prusse, nous étaient hostiles, et cependant le mécanisme seul de la confédération a suffi pour paralyser et rendre impuissant le mauvais vouloir évident que provoquaient les entreprises françaises. Notre intérêt nous commande donc de ne toucher en rien à la machine si heureusement compliquée de la confédération germanique. L’Allemagne pourrait-elle avoir vis-à-vis de nous une meilleure sécurité? Qu’elle se félicite donc, sans mêler à sa joie aucune pensée amère sur l’avenir, de cette prompte paix qui vient providentiellement lui épargner de vaines dépenses et d’inutiles levées d’hommes. La Prusse, nous l’espérons, sera