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plateau des Llanos couvre une superficie de plusieurs centaines de mille kilomètres carrés, et monte insensiblement des plaines du Texas jusqu’à la hauteur de 200 ou 300 mètres. Comme un grand nombre d’anciens bassins maritimes aujourd’hui transformés en déserts, il manque presque complètement d’eau. Les ruisseaux qui le traversent sont presque toujours taris : ils ont pu cependant peu à peu creuser dans le sol calcaire des cañons profonds, aux flancs perpendiculaires, que de loin rien ne fait soupçonner dans la solitude sans bornes. On peut arriver jusque sur le bord d’un précipice en se croyant toujours sur une surface aussi unie que celle d’un lac, lorsque tout à coup le sol s’entr’ouvre et se dérobe sous les pas. Souvent on ne peut traverser le maigre filet d’eau qu’on voit à ses pieds et atteindre le sommet du rocher qui se dresse à un jet de pierre au-delà du gouffre qu’après avoir hasardé sa vie pendant plusieurs heures d’une marche périlleuse sur le flanc des abîmes. Le grand chemin de fer du Texas à San-Diego de Californie passera tôt ou tard à travers cet aride plateau ; on craignait d’abord que le manque d’eau ne créât aux ingénieurs des obstacles insurmontables ; mais des recherches récentes ont prouvé qu’une vaste couche de sables aquifères s’étend sous la surface du désert à 200 mètres de profondeur moyenne.

La Rivière-Rouge ne présente rien de remarquable depuis sa source jusqu’au lac Caddo et à l’immense agglomération d’arbres sous laquelle ses eaux se perdent, comme se perdaient autrefois celles du Rhône sous une voûte de rochers. Rien ne peut donner une idée de cet entassement fabuleux de troncs enchevêtrés par les racines et par les branches. Étendus dans la fange du rivage, ou dressant leurs têtes fantastiques hors de l’eau noirâtre, ils ressemblent aux antiques plésiosaures qui jadis se traînaient dans le chaos vaseux. Il est facile de comprendre comment s’est formé cet énorme « embarras » ou raft de troncs d’arbres flottans. Supposons que dans une de ses crues le Mississipi ait refoulé les eaux de la Rivière-Rouge et changé le confluent en un vaste lac d’eau stagnante, il est évident que tous les arbres entraînés en dérive par les deux fleuves auront été rejetés par les courans dans cet estuaire tranquille et y auront formé un vaste radeau tournoyant. Après le passage de la crue, cette agglomération d’arbres flottans se sera en grande partie échouée sur la barre et sur les bancs de sable, et de nouveaux arbres charriés par la Rivière-Rouge auront augmenté sans cesse la longueur du radeau, tandis qu’en aval le courant du Mississipi ne dégageait les troncs que lentement et l’un après l’autre. C’est ainsi que l’obstruction, remontant sans cesse, s’est avancée comme une digue flottante jusqu’à près de 500 kilomètres du confluent