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en épaisses masses vertes où les maisons disparaissent à demi, n’est plus qu’une étendue uniforme de terre noirâtre et recouverte des débris de longues feuilles jaunies. On attend qu’un beau soleil ait complètement séché ces feuilles, puis on les allume par tas, et l’incendie se propage à travers les champs ; le jour, ce sont de grandes fumées que le vent enroule en écharpe autour des forêts ; la nuit, c’est comme un embrasement universel, les flammes semblent jaillir de la terre, et le ciel se colore splendidement de tous les reflets de l’incendie.

Les planteurs laissent ordinairement peu d’arbres dans leurs champs de cannes, à l’exception de quelques bouquets isolés où les nègres peuvent se réfugier pour échapper à la pluie ou à une trop forte chaleur ; mais les grands arbres sont nombreux autour des maisons d’habitation, et parfois celles-ci sont entièrement cachées au regard par d’épais rideaux de feuillage. Là croissent l’azédarach avec ses grandes branches nues terminées par des ombelles de feuilles et ses grappes de fleurs lilas, le plaqueminier, le pacanier, avec leur port royal et leur vaste branchage étalé, le magnolia aux larges fleurs enivrantes et aux fruits semblables à des bouquets de corail, le chêne-vert au tronc dur et tordu. Dans beaucoup de plantations, les terres vierges susceptibles d’être cultivées n’ont pas encore été défrichées, et les champs n’ont pas atteint la limite des cyprières et des marécages. Ces terrains, relativement élevés, forment une zone charmante où les savanes, les bosquets et les massifs de cannes sauvages alternent dans un désordre pittoresque. En été, les savanes sont couvertes de graminées magnifiques où les troupeaux nagent pour ainsi dire comme dans un lac de verdure ; en hiver, les hautes herbes ont complètement disparu, et les bestiaux vaguent au hasard, cherchant à brouter le gazon trop court, ou bien se réunissent autour d’un arbre et allongent leur cou pour saisir quelques feuilles. Rien de triste comme le spectacle de ces animaux qui regardent vaguement de leur grand œil affamé ! Au-dessus d’eux s’élève l’arbre, haute pyramide de verdure dont ils ont uniformément rongé la base jusqu’à deux mètres au-dessus du sol, et dont ils ne peuvent plus atteindre les feuilles ; au-dessous d’eux, le gazon sec est brouté jusqu’au ras de terre ; tout autour sont épars les ossemens des ruminans qui ont déjà succombé. Quand la souffrance de la soif vient encore s’ajouter à celle de la faim, des troupeaux entiers se couchent en un seul jour pour ne plus se relever.

Les bois qui alternent avec les savanes dans les terrains élevés sont admirables de grâce et de beauté : ils ressemblent à ceux de l’Europe par leurs clairières et leurs avenues discrètes et tortueuses ;