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I.

Michel-Ange naquit le 6 mars 1475[1], près d’Arezzo, dans le Valentino. Son père, Leonardo Buonarotti Simoni, était alors podestat de Castello di Chiusi e Caprese. Condivi affirme et Vasari paraît croire que les Buonarotti descendaient des comtes de Canossa, famille très ancienne et de sang presque royal. Gori, dans son commentaire sur Condivi, reproduit même un arbre généalogique des Buonarotti, dont il dit avoir vu les pièces authentiques, et qui remonte jusqu’à l’année 1260 ; mais cette antique origine, généralement acceptée au temps de Michel-Ange, paraît plus que douteuse aujourd’hui[2]. Ce qui est certain, c’est que les Buonarotti étaient établis à Florence depuis longtemps, qu’ils avaient à plusieurs époques servi le gouvernement de la république dans des charges assez importantes, et le nom de Michel-Ange ne réclame ni une autre ni une plus haute origine.

L’année de la charge de Leonardo Buonarotti étant expirée, il revint à Florence, et mit l’enfant en nourrice à Settignano, où il avait une petite propriété, chez la femme d’un tailleur de pierres. Bien des années plus tard, Michel-Ange rappelait cette circonstance à Vasari, et lui disait : « Mon cher George, si j’ai quelque chose de bon dans l’esprit, je le dois à la légèreté de l’air de votre pays d’Arezzo, de même que je dois au lait que j’ai sucé les maillets et les ciseaux dont je me sers pour sculpter mes figures. »

Leonardo Buonarotti n’était pas riche. Le revenu de sa propriété de Settignano, qu’il faisait valoir lui-même, suffisait à grand’peine à entretenir une famille nombreuse. Il plaça plusieurs de ses enfans dans le commerce des soieries et des laines; mais, discernant bientôt chez le jeune Michel-Ange des dispositions remarquables, il lui fit commencer des études littéraires, et l’envoya chez Francesco Urbino, qui tenait une école de grammaire à Florence. Michel-Ange ne fit dans cette école aucun progrès. Il ne montrait de goût que pour le dessin, et employait à barbouiller les murs de la maison paternelle tout le temps qu’il pouvait dérober à ses études. Leonardo ne voulait pas entendre parler d’un art qu’il trouvait indigne de sa famille; ses fils se joignirent à lui pour contrarier les goûts de l’enfant, et Michel-Ange fut bien souvent, dit Condivi, « grondé et même terriblement battu. » Il se lia à cette époque avec un enfant de son âge, Francesco Granacci, élève du Ghirlandajo, et qui lui procurait des dessins de ce maître. L’obstination de Michel-Ange finit par vaincre les répugnances de son père, qui conclut avec l’auteur des fresques de Sainte-Marie-Nouvelle un contrat par lequel l’enfant devait être reçu pendant trois ans dans son atelier moyennant une rétribution de 24 florins

  1. Condivi et Vasari écrivent 1474, ce qui s’explique par cette circonstance, que les Florentins comptaient l’année ab incarnatione, et la faisaient commencer le 25 mars.
  2. Une note de la dernière et excellente édition de Vasari publiée à Florence paraît trancher négativement cette question; voyez vol. XII, p. 332.